Des indignés dans l’Eglise?

Devant le récent mouvement social des « indignés », encore incertain et difficile à juger, nous pouvons nous demander si, dans l’Église, il n’y a pas aussi des indignés. Nous ne trouvons certainement pas dans l’Église quelque chose de semblable à ce qui s’est passé sur la Plaza del Sol de Madrid. Il n’y a personne qui campe sur la Place Saint Pierre de Rome, il n’y a pas de pancartes qui disent « démocratie dans l’Église, maintenant » ou bien « le Christ, oui, l’Église, non » ; la garde suisse avec ses pittoresques uniformes n’a réprimé personne…

Il y a certainement dans l’Église des voix indignées comme celle de Hans Küng, des personnes et des forums qui expriment leur mécontentement, qui regrettent Vatican II, il y a des gens qui abandonnent l’Église, des groupes qui en Amérique Latine passent chez les Pentecôtistes ; on constate un schisme doux et silencieux de femmes, d’intellectuels et de jeunes, il y a du désenchantement et de l’indifférence chez beaucoup. Mais nous sommes une majorité silencieuse de fidèles qui souffrons en silence, qui travaillons, qui prions et qui attendons des temps meilleurs. Silence par lâcheté, par prudence ou par crainte ? Nous ne le savons pas.

Mais si nous creusons un peu, il y a toujours eu, en Israël et dans l’Église, une indignation éthique et religieuse, même si on ne les appelle pas « indignés » mais prophètes ou prophétesses.

Les prophètes d’Israël étaient les voix de l’indignation et de la dénonciation, face à l’idolâtrie du peuple et face à la corruption et l’injustice des rois. Jésus de Nazareth, quand il a expulsé les marchands du temple, n’était-il pas indigné parce qu’ils avaient transformé la maison du Père en un repaire de voleurs ? Les moines qui allaient au désert pour protester, François, Dominique, Catherine de Sienne, Ignace et Thérèse, ne voulaient-ils pas réformer l’Église de leur temps ? Plus récemment, des théologiens de la libération comme Boff et Sobrino, des théologiennes comme Yvonne Gebara et Lucia Ramôn ne sont-ils pas prophétiquement indignés-es par des réalités indignes et injustes ? Que furent en leur temps Jean XXIII, Romero, Helder Camara, Samuel Ruiz, Arrupe, sinon des prophètes ? Qu’y a-t-il derrière Desmond Tutu, Nicolas Castellanos, Buxarrais et le Cardinal Martini lui-même, sinon des voix prophétiques et des désirs de réforme ecclésiale ? Beaucoup de ces prophètes aussi ont été réprimés et condamnés au silence, ont souffert persécution et martyre. L’expulsion des marchands du temple a coûté à Jésus de Nazareth la condamnation à mort et la crucifixion. Nous, croyants, nous croyons que derrière ces mouvements sociaux de protestation, derrière ces voix prophétiques de l’Église, souvent mêlées d’ambiguïté, d’erreurs et de déviances qu’il faut en permanence discerner, il y a la présence de l’Esprit du Seigneur qui remplit l’univers, celui-là même qui fait surgir la vie du chaos, celui qui a parlé par les prophètes, celui qui a accompagné la vie de Jésus de Nazareth, celui qui a fait naître l’Église et qui conduit l’histoire de l’humanité jusqu’à son achèvement dans le Royaume.

Que nous l’appelions indignation, prophétisme, contestation, réforme, opinion publique ou dissidence, au fond, c’est l’Esprit de Jésus qui est présent d’une manière silencieuse mais réelle sous ces mouvements.

Dans l’Église, nous tous les baptisés, nous participons au prophétisme du Christ ; il manquerait quelque chose d’essentiel à l’Église si disparaissait ou n’était pas prise en compte l’opinion publique de laïcs, de religieux et de religieuses, de ministres du Seigneur. C’est pour cela que Paul nous exhorte à ne pas éteindre l’Esprit, à ne pas mépriser ce que disent les prophètes, à tout examiner et à garder le meilleur (Tes 5, 19). Parce que l’Esprit renouvelle la face de la terre (Psaume, 103, 30).

Victor Codina Publication de Centro Nuevo Tierra,

Buenos Aires, Argentine Traduction de Daniel Hangouët

Cet article fait partie du dossier intitulé « La subversion évangélique » du numéro 53 de la revue « Les Réseaux des Parvis ». Pour découvrir la Fédération du Parvis, visitez le site des Réseaux du Parvis

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4 commentaires sur “Des indignés dans l’Eglise?

  1. Aux dernière nouvelles, Benoit XVI a recadré l’Appel à la désobéissance, tout en disant qu’il comprenait les raisons du mouvement. Il comprend, mais ne fait rien. Tout ce qu’il désire c’est que les prêtres et les laïcs obéissent. L’obéissance à un bateau qui prend l’eau, alors qu’une réforme totale des structures et de la direction du navire demande du courage, c’est absurde. L’Eglise croit qu’on peut encore diriger comme au XIXe siècle alors que depuis l’esprit démocratique est majoritaire. Il est passé le temps du printemps de l’Eglise, nous connaissons maintenant un long hiver. Mais à nous de le transformer à nouveau en long printemps.
    Merci !

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  2. J’ai lu votre article parlant de l’homélie de Benoit XVI le jeudi saint. Ce qui embête Rome, c’est que 87% de la population autrichienne soutient leurs prêtres. Prendre des sanctions signifierait créer un schisme avec l’Eglise d’Autriche. Avez vous vu le documentaire de FR3 sur la guerre perdue du Vatican ?
    http://www.pluzz.fr/la-guerre-perdue-du-vatican-2012-04-02-23h05.html
    Et l’épiscopat français est montée au créneau pour critiquer cette émission, la taxant de désinformation (voir La Croix du 3 avril). Mais jusqu’à quand sera-t-il capable de nier les évidences?

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  3. J’ai vu le documentaire de France 3, « La guerre perdue du Vatican », et j’ai lu aussi le commentaire qu’en a fait Mgr Hippolyte Simon, ce qui n’est pas étonnant, vu que les évêques actuels ont été nommés par Benoit XVI, et contrairement à leur prédécesseur, ils n’ont aucun charisme et peu d’esprit critique. La désinformation n’est pas entretenue par ce documentaire, mais par notre hiérarchie qui croit que les fidèles vont se contenter de belles paroles. L’évidence est que l’Eglise est maintenant une voiture sans frein qui fonce dans le mur et que nos évêques essayent de nous faire croire que la voiture va s’arrêter. Les réformes cela fait 50 ans qu’on les demande, on est en droit d’être écouté.
    Merci !
    Merci !

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