Vatican II… respecté ou trahi

La revue canadienne « Prêtres et Pasteurs » a interviewé Mgr Charbonneau, évêque canadien qui a maintenant 88 ans et qui a participé au Concile Vatican II.

Revue Prêtre et Pasteur, juin 2011, «Vatican II… respecté ou trahi», p. 322-329.

Une partie plus longue de cet entretien se trouve sur le site Culture et Foi

http://www.culture-et-foi.com/texteliberateur/mgr_paul-emile_charbonneau_entretien.htm

Prêtre et Pasteur: Enthousiaste durant vos quatre années du concile, après cinquante ans, l’êtes-vous encore autant dans l’Église d’aujourd’hui? Comment vous y sentez-vous?

Mgr Charbonneau: J’ai gardé, je pense, mon enthousiasme dans mon ministère d’évêque. Le feu est toujours là. Par ailleurs une grande peine se mêle à mon enthousiasme. C’est de constater que le concile est oublié. Vatican II, un bel avenir oublié! À votre question je réponds: aujourd’hui, dans mon Église, je me sens mal à l’aise, perplexe et impatient.

Mal à l’aise, car je ne ressens plus cette belle liberté de parole que j’avais durant le concile. Cette liberté de parole, à l’image de celle du cardinal Frings d’Allemagne — dont le théologien personnel s’appelait l’abbé Joseph Ratzinger — qui disait en pleine salle conciliaire, le 9 novembre 1963: « Les congrégations romaines sont un scandale dans l’Église et dans le monde ». Une intervention suivie d’une longue salve d’applaudissements, la plus longue de tout le concile, dans ce lieu vénérable.

Perplexe. À certains jours, je me demande dans quelle Église on veut me voir vivre. Dans une Église qui fait des clins d’œil bienveillants aux anciens Lefebvristes, hostiles au concile, à qui on assigne une paroisse dans un diocèse de France sans en parler à l’évêque du lieu? Dans une Église qui accueille des évêques et des prêtres anglicans en dissension interne avec leur Église? Je me retrouve alors dans une Église traditionnelle de « récupération ». Et je me sens loin, bien loin de l’aggiornamento de Vatican II.

Impatient. Ma grande impatience, c’est de passer d’une Église cléricale à une Église peuple de Dieu, peuple des baptisés, telle que voulue par le concile Pour moi, dans le déroulement et le travail du concile Vatican II, l’initiative la plus décisive, l’initiative la plus chargée d’avenir a été l’introduction entre le chapitre premier du document sur l’Église et son chapitre troisième consacré à la hiérarchie, l’introduction d’un chapitre deuxième sur le peuple de Dieu.

À 88 ans, je n’ai pas le goût d’entrer en guerre avec la curie romaine. Je n’ai pas le goût de croiser le fer avec les mouvements intégristes du Québec. Je n’ai pas le goût de jouer à l’évêque rebelle. J’ai tout simplement le goût d’être vrai, d’être positif et d’annoncer à temps et à contre-temps ce que le concile Vatican II désire de son Église. Depuis un an, j’ai repris le bâton du pèlerin et j’en serai bientôt à ma 38e rencontre à travers le Québec pour remettre mes soeurs et frères chrétiens à l’école de Vatican II, pour les re-concilier. Depuis un an, j’ai échangé avec des milliers de laïcs et de religieuses, avec des centaines de prêtres, pour apprendre leurs déceptions et aussi et surtout leurs grands désirs.

C’est ainsi que je me situe dans mon Église d’aujourd’hui.

Prêtre et Pasteur: Quand vous êtes revenu du concile, selon vous, quelles idées maîtresses devaient orienter les efforts à accomplir pour répondre aux attentes des Québécois catholiques de cette époque?

Mgr Charbonneau: Je crois que nos chrétiens avaient comme première attente une liturgie renouvelée. Une attente clairement exprimée. Le concile pour nos Québécois c’était : « Le concile, c’est le changement dans la messe ». C’est d’ailleurs ce qu’ils avaient retenu du concile. Et ils ont été comblés sur ce point : beaucoup et d’heureux efforts ont été faits pour répondre à cette attente.

Mais il est une autre attente, peu exprimée, une attente, je dirais, silencieuse mais bien réelle : celle d’être reconnu dans l’Église, d’avoir une place dans l’Église. Je viens de dire que pour plusieurs, le concile c’était la liturgie. II faut ajouter qu’on avait aussi retenu une expression célèbre du concile : « le peuple de Dieu ».

Dans les années précédant le concile, les militants d’Action Catholique réclamaient leur place dans l’Église. Je revois encore cette jeune militante de la J.A.C. qui me dit avec du feu dans les yeux, lors d’une réunion des responsables d’Action Catholique : « Monseigneur, quand est-ce que vous allez nous lâcher « lousses »? » Ils étaient une minorité. Aujourd’hui ce sont des milliers de baptisés, appelons-les des « laïcs libérés », qui veulent vraiment passer d’une Église cléricale à une Église peuple Dieu et qui sont prêts à prendre des responsabilités. Ce sont ces laïcs et ces religieuses que j’ai rencontrés dans mes pérégrinations depuis un an. Ils ont des questions à poser, des déceptions à souligner, et aussi de grands désirs à exprimer.

Par ailleurs, je constate que la hiérarchie et le clergé, nous sommes encore attachés à notre Église cléricale. Nous nous entêtons à conserver le modèle constantinien au lieu de passer au modèle proposé par Vatican II, inspiré des trois premiers siècles où la conscience des chrétiens, disciples du Christ, d’être le peuple de Dieu était prédominante. Nous sommes préoccupés par le manque de prêtres et nous recourons à des prêtres de Pologne ou d’Afrique pour colmater les brèches. Évidemment si nous tenons au modèle de l’Église cléricale, nous manquerons de prêtres et nous paniquerons pour l’avenir. Si nous relevons le défi d’édifier une Église, peuple de Dieu, une Église des baptisés, en reconnaissant le sacerdoce commun des fidèles, nous vivrons sans panique, dans une Église remodelée, rebâtie selon les désirs de Vatican II. Au fond, nous ne vivons pas une crise du sacerdoce, mais une crise de baptêmes endormis. J’oserais dire — et je me cache la figure — que c’est parce que nous avions trop de prêtres que depuis seize siècles nous avons gardé le modèle d’une Église cléricale. Depuis Constantin au quatrième siècle. Jean XXIII disait à l’ambassadeur de France au Vatican, en 1963, alors qu’il se mourait : « J’ai voulu secouer la poussière impériale qu’il y a depuis Constantin sur le trône de Pierre ».

Je reviens donc à mon impatience : passer d’une Église cléricale à une Église, peuple des baptisés. C’est la grande urgence aujourd’hui.

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