La faillite du système clérical

Ce qui est fondamentalement en cause, c’est le cléricalisme. Le mot ne désigne pas l’existence de prêtres ni leur action, mais leur omnipotence.Tout, dans l’Église catholique, repose sur le prêtre. Le système clérical tient la maison, et s’il l’a bien tenue dans le passé, dans des modalités et des contextes différents, il est aujourd’hui à bout de souffle. Elle est là, la leçon de la crise, dans ce dramatique signal d’épuisement du cléricalisme catholique. Un épuisement qui atteint la totalité du corps, clercs et laïcs, qui dans leur très grande majorité ne supportent plus le système. Il n’est qu’à voir les terribles dépressions qui atteignent les prêtres comme les évêques, misérables secrets, détresses profondes cachées au coeur des presbytères et des évêchés.

Rappelons d’un mot comment l’Église est gouvernée. Le pape est choisi, sans limite d’âge et jusqu’à son dernier souffle, parmi le collège des cardinaux de moins de quatre-vingts ans, soit 120 personnes nommées par ses prédécesseurs. Le pape est donc un mâle, prêtre et célibataire, comme les membres de la Curie, son gouvernement, qui sont, une fois nommés, quasiment inamovibles. Tous sont prêtres, beaucoup évêques et cardinaux, et donc mâles et célibataires, d’un âge certain, depuis longtemps éloignés de leurs familles, sans liens ni obligations autres que ceux de leur petit réseau romain. Au risque d’appuyer lourdement les points sur le « i », cela signifie qu’il n’y a pas de femmes ; ils ne sont pas « femmes », ils ne vivent pas avec des femmes et, bien évidemment, ne connaissent ni filles ni belles-filles qui pourraient les ouvrir à d’autres visions du monde. Pour le pape actuel, la femme de référence de sa vie, sa mère, est née il y a 110 ans !

C’est un petit monde d’Éminences, d’Excellences et de Monsignori, tentés de vivre en vase clos et dont la « distraction » est la visite d’Éminences, d’Excellences et de Monsignori, tous mâles, prêtres et célibataires, qui se rendent à Rome pour les visites ad limina. Aucun conseil représentatif de quoi que ce soit n’assiste le pape. Ni des différents continents, ni des différents états de vie, ni des mouvements d’action ou de spiritualité catholiques. La collégialité que Vatican II a voulu développer a au contraire reculé ces dernières décennies

Quant au concile, il est trop lourd à réunir pour être un véritable contre-pouvoir. Jamais autant qu’en ce début de XXIe siècle le Vatican n’a été aussi centralisateur, aussi autocrate, aussi opaque. Elle est bien loin la liberté de remontrance au pape d’un saint Bernard, par exemple ! Par un travail patient et tenace, le système romain s’est donné les moyens juridiques et ecclésiologiques de cette situation, dont l’air du temps, avec le web et les médias mondiaux, accentue encore aujourd’hui le trait. Quant aux évêques – des prêtres, encore, des mâles, toujours, des célibataires, bien sûr –, qui se souvient qu’ils sont les « pairs » du pape, ses frères dans l’épiscopat et non des préfets de Rome ? Enfin, au dernier échelon de pouvoir, le curé de la paroisse – celui qui a la cura, le soin des âmes – est lui aussi un prêtre, un mâle, un célibataire dont chacun sait que, même flanqué d’un conseil paroissial, même doué d’un tempérament consensuel, il demeure « patron de droit divin », ce que la nouvelle génération de prêtres ne manque pas de rappeler.Ainsi, notre Église pourtant née « peuple », peuple d’hommes, de femmes, d’enfants, d’artisans, de pêcheurs, de marchands, se retrouve aux mains d’un seul modèle humain un mâle, célibataire, sans métier, un prêtre qu’on rêve, idéalement, sans attaches, sans affections, sans autres dépendances humaines que son humble et entière soumission à l’autorité cléricale. Ce gouvernement des prêtres, cette « presbytérocratie », prend le risque de devenir une terrifiante Église de clones! Cette omnipotence cléricale est source d’un déséquilibre grave. Et si les choses ont tenu si longtemps, n’ayons pas peur des mots, c’est par le moyen de la « terreur ». La menace d’une éternité d’enfer a désarmé bien des velléités de contestation !

Aujourd’hui, le système est d’autant plus ébranlé que manquent ceux dont on a fait les piliers du système, les prêtres-mâles-célibataires! Lorsque l’institution actuelle devient hors d’état d’assurer au Peuple de Dieu la présidence de l’eucharistie, sacrement dont synodes et encycliques répètent à l’envi combien il est central pour la vie chrétienne, la contradiction entre le discours et les faits témoigne encore à charge. Que l’on ne s’étonne pas de la baisse du denier du culte, dès lors que le service sacramentel n’est plus rendu. Il faut ajouter à ce diagnostic déjà lourd un dernier symptôme, hélas prévisible, le déni de la gravité de la crise et son corollaire, l’obstination à ne rien changer, comme si l’immobilité pouvait à elle seule perpétuer le système.

p 158 – 161 du livre d’Anne Soupa et Christine Pedotti « Les pieds dans le bénitier », octobre 2010, Presses de la Renaissance 

Anne Soupa et Christine Pedotti, respectivement journaliste et éditrice, ont fondé le Comité de la jupe pour lutter contre la discrimination à l’égard des femmes dans l’Eglise catholique, puis la conférence des baptisé-e-s de France pour susciter la conscience et la responsabilité des catholiques

 

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