L’Évangile au rythme des hommes La Parole demeure, les Églises passent

Olivier Abel, Philosophe, professeur à la Faculté de Théologie Protestante de Paris

Interview accordée à la revue « Les Réseaux des Parvis » à paraître dans le n° 53 (1)

Que pensez-vous de la subversion des formes traditionnelles du protestantisme par les Églises évangéliques d’obédience pentecôtiste qui progressent partout ?

Ces Églises renvoient aux difficultés résultant d’une précarisation qui touche l’ensemble de la planète. L’ordre du monde est bouleversé par une profonde mutation des structures et des idéologies économiques, politiques et culturelles. Toutes les institutions en sont affectées, et notamment les grandes Églises trop habituées à s’imaginer inaltérables. Livrés à ces changements, les individus se trouvent d’autant plus déstabilisés qu’ils sont socialement plus fragiles. La religion apparaît alors comme une planche de salut aux personnes et aux catégories sociales les plus malmenées, comme un refuge capable de les sauvegarder. Réduite à sa forme la plus élémentaire, décrochée du passé et véhiculée par les émotions du vécu immédiat, cette offre religieuse répond aux manques qui taraudent les pauvres, leur offrant consolations et solidarité dans un cadre communautaire très structurant. J’ai observé cela au Brésil, au Congo et en Corée, mais la même chose se produit chez nous dans les colonies ethno-religieuses de nos banlieues et dans les milieux défavorisés en général. Je dirai qu’il s’agit d’une religion de naufragés, de rescapés, d’une religion de survie qui mérite d’être respectée à ce titre en dépit de ses carences et de ses fréquentes outrances.

Ce courant religieux a-t-il vocation à se substituer aux Églises traditionnelles sans autre forme de procès ? Ce serait une erreur et une faute de lui accorder le monopole de l’évangile et de minimiser ce que le protestantisme historique – comme le catholicisme de son côté –  peut et doit encore apporter au christianisme. Déterminées par les urgences qui assaillent leurs fidèles, ces nouvelles Églises n’ont pas en elles-mêmes les ressources nécessaires pour assumer leur inscription dans le monde, ni pour atteindre une stabilité propice à une transmission durable du message évangélique. Fragiles embarcations surchargées de laissés-pour-compte, de boat people pourrait-on dire, elles ont besoin d’être aidées pour créer des lieux habitables dans la durée. Que leurs tendances charismatiques se doublent souvent de fondamentalisme met en évidence la précarité contre laquelle elles se battent sans avoir les moyens d’y remédier. Sans racines face aux fluctuations du monde, elles arriment leurs néophytes et born again à des doctrines aussi insubmersibles que des bouées de sauvetage. Les grandes Églises ont là un rôle fondamental à assurer en manifestant et en partageant ce qui leur a permis de traverser les siècles. À savoir : la foi en une vérité tissée d’histoire et cependant toujours à chercher, sous la houlette d’institutions qui organisent cette recherche en se référant au chemin déjà parcouru et en autorisant les débats contradictoires que suscitent les situations nouvelles.

Mais où en sont les grandes Églises dans notre monde sécularisé et pluraliste, entre la chrétienté qui a disparu et un avenir émancipé de la religion ?

Je me reporterai ici au penseur protestant Ernst Troeltsch mort en 1923, philosophe, théologien et sociologue allemand proche de Max Weber, qui a longuement analysé l’évolution des religions dans la modernité. Il distingue trois modalités de l’Église : la secte qui sépare, l’organisation traditionnelle qui unit et donne son visage coutumier à la religion, et la forme mystique qui advient par delà les appartenances institutionnalisées. Ces trois modalités peuvent se succéder dans le parcours des sociétés comme dans celui des individus, mais il arrive qu’elles cohabitent plus ou moins dans les flux et reflux de la vie personnelle ou collective – non sans paradoxe parfois. En général, les commencements se caractérisent par un mouvement de rupture, de séparation et de forte revendication identitaire. Vient ensuite le moment de pérenniser l’organisation religieuse en tant qu’institution capable de partager ses valeurs et de les transmettre au monde. Et, pour finir, survient une expérience plus vaste qui est d’ordre mystique et se passe des institutions, débouchant sur l’effacement de toutes les cloisons et séparations. La protestation initiale et le développement ultérieur se dissolvent dans la communion. Il y a des étoiles naissantes, des étoiles au zénith de leur rayonnement, des étoiles qui meurent et se répandent en poussière dans le cosmos, tel est aussi le destin des religions.

Personnellement, j’ai tendance à penser que la religion va mourir en Occident. Mais loin d’être pessimiste et de m’attrister, cette perspective m’inspire de la gratitude et décuple mon espérance. L’effacement des Églises sous leurs formes actuelles peut signifier qu’elles sont arrivées au terme de leur mission, que l’on peut et que l’on doit se réjouir de ce qu’elles ont globalement réussi à apporter au monde, et qu’il est heureux de les voir s’effacer pour laisser venir au jour de nouvelles formes de vie spirituelle à leur suite. Rien n’est jamais perdu dans l’économie mystérieuse de la création et de l’histoire : même les échecs peuvent constituer de prodigieux ensemencements. Si les vagues des océans pouvaient nous enseigner l’humble simplicité qui préside à leur succession, bien des choses nous paraîtraient moins tragiques…. ! Mais, me direz-vous, qu’est-ce que cela signifie concrètement ? Nous connaissons tous des paroisses qui se détruisent en se crispant obstinément sur les formes héritées de la religion, qui étouffent la vie en voulant la conserver sous l’autorité des anciens qui démobilisent les jeunes en usurpant leur place. La subversion évangélique nous invite à délivrer ces paroisses et nos Églises de leurs obsessions de survie, à libérer les consciences et les structures pour les ouvrir à l’Esprit qui n’est jamais à court de propositions novatrices.

Si la religion est en train de mourir sous ses formes anciennes, quelles sont les conversions qu’il apparaît souhaitable de mettre en œuvre dans les Églises pour préparer l’avenir ?

Au risque de paraître paradoxal, je dirai d’abord que le protestantisme devrait commencer par revenir à la radicalité antireligieuse des intuitions fondatrices de la Réforme. Rejetant l’infantilisation qu’affectionne la religion pour se doter de fidèles soumis, les réformateurs du XVIème siècle ont résolument voulu éduquer le peuple, lui apprendre à lire la Bible en vue de lui donner accès à l’autonomie de la conscience. Alors que notre rapport à la mort hypothèque notre vie et pervertit notre piété sous l’influence persistante de craintes païennes, Jean Calvin ne s’est pas préoccupé de son salut et a demandé que son cadavre soit jeté à la fosse commune, cousu dans un drap dépourvu de toute marque distinctive. À la grâce de Dieu… En pratique, le protestantisme ultérieur a couramment substitué la primauté du péché à la suprématie de la grâce, et ravalé la foi au niveau des œuvres en cultivant le souci individuel et obsessionnel de la condamnation et du salut. Que de promesses non tenues, que de richesses enfouies sous les sédiments de l’histoire ! Mais il est clair que l’avenir ne se lit pas dans le passé, et qu’il nous faut aujourd’hui répondre à des questions qui ne se sont posées ni à Jésus, ni à François d’Assise, ni aux protagonistes des réformes du XVIème siècle.

J’évoquerai ici la question cruciale de la vérité que l’herméneutique moderne renouvelle avec bonheur. Après que la théologie eut longtemps revendiqué le privilège exclusif d’énoncer le vrai, la compétition survenue entre la science et la religion à l’époque de la Renaissance a eu des conséquences désastreuses qu’il faut surmonter sans délai pour entrevoir la mystérieuse richesse des textes. Là comme ailleurs, la voie de l’évangile est celle du renoncement aux assurances et de l’humble recherche. Quand mes étudiants relèvent les écarts qui séparent et opposent parfois les textes bibliques, quand ils découvrent que la compréhension du monde et la vision de Dieu varient considérablement selon les écrits proclamés normatifs, ils réalisent que la vérité ne se dévoile que par ses facettes, débordant tous les cadres y compris le canon des Écritures. Ainsi leur est-il donné de pouvoir s’émerveiller d’une vérité plus vaste que tous les savoirs – englobant le passé, le présent et anticipant sur l’avenir -, et d’accéder ainsi à un rapport à la vérité ouvrant sur l’espérance. Cet horizon est aux antipodes des fondamentalismes qui, toujours et partout, guettent la religion et tentent les Églises. Il nous faut reconnaître notre condition plurielle et en admettre jusqu’au bout les conséquences – la dérangeante et féconde altérité.

Autre dimension majeure de la religion, les rites soulèvent des problèmes plus difficiles à résoudre que ceux, d’abord théoriques, concernant la vérité. Ils constituent des morceaux de langage qui relèvent de l’enfance enfouie au plus profond de chacun – habitudes fortement empreintes d’affectivité, souvenirs aussi insaisissables que prégnants qui rappellent des ambiances, des gestuelles, des musiques, des odeurs, etc. L’individu qui se prétend entièrement émancipé à cet égard dénie et refoule une part essentielle de lui-même. Inversement, celui qui se complaît dans les souvenirs de son enfance au point de s’y engluer se condamne à ne jamais pouvoir accéder à sa liberté. Mais pourquoi ne serait-il pas possible d’inventer des voies respectant les exigences modernes de l’adulte responsable sans pour autant négliger la part d’enfance et ignorer ce qui a marqué ses origines ? La complexité de ces questions invite à la modestie et au pragmatisme : ne compte finalement que ce qui permet à chacun de vivre sa foi en esprit et en vérité sans omettre de la partager. Ce constat me porte à préconiser un espacement des cultes classiques au profit d’autres formes de rencontres à inventer, et la reconnaissance officielle de la double appartenance confessionnelle des fidèles protestants et catholiques de manière à favoriser le dépassement des clivages actuels.

N’est-ce pas en essayant de changer le monde au nom de l’évangile que les chrétiens changeront leurs Églises et feront advenir le christianisme de demain ?

Oui, c’est notre rapport au monde que nous devons convertir en priorité. Et là s’impose d’emblée un constat radical et universel : nous ne sommes que des humains et non des dieux, vivant au sein d’un monde fragile au rythme d’une histoire qui emporte tout pour sans cesse créer du neuf dans le sillage de l’ancien. Il nous faut accepter notre vulnérabilité et celle de la nature, reconnaître le caractère fugace de nos existences et de nos institutions. Mais le constat que toute vie est éphémère la rend particulièrement précieuse et interpelle notre responsabilité : nous devons nous protéger les uns les autres, protéger notre patrimoine commun et respecter les règles qui nous permettent de vivre ensemble. Face à la marchandisation qui détruit la nature et exacerbe la violence entre les hommes, il faut d’urgence transformer nos modes de consommation. Ce n’est pas seulement pour des raisons économiques que nous devons changer nos habitudes alimentaires ou nos comportements en matière de déplacement, c’est pour devenir plus humains et pour humaniser toute la création et sauvegarder la vie.

En dénonçant les faux-dieux et l’idolâtrie, l’évangile prescrit trois grandes ruptures qui sont susceptibles de désaliéner l’homme contemporain : rompre avec les rêves du pouvoir, avec la compulsion à la propriété, et avec ce que j’appelle la complaisance culturelle. Quand Jésus affirme « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu », il reconnaît au champ politique une autonomie légitime, mais surtout il brise toutes les visions théocratiques. Aucun pouvoir humain ne peut s’identifier au pouvoir divin, aucune instance politique ne peut se substituer à Dieu pour exercer la violence en son nom et se faire adorer. Mais le nouveau veau d’or qui asservit aujourd’hui l’humanité est érigé par la religion du marché. Contre lui, il ne suffit pas de se déclarer anticapitaliste, il faut se battre pour placer effectivement l’homme au centre des préoccupations sociales et politiques, et en payer le prix. « Plus un sdf à la rue ! » : pourquoi différer, en invoquant son coût, un engagement aussi impératif qui pourrait être d’une portée exemplaire et impulser d’autres initiatives ? En troisième lieu, je dirai qu’il faut rompre avec le conformisme mortifère qui étouffe notre société. Avec les artistes et les poètes qui percent dans les murs de la bienséance des brèches ouvrant sur l’inédit et l’avenir, il faut retrouver la parole et la rendre aux gens, oser le scandale en se risquant sur des chemins inédits. Comme l’écrivait Emerson : « Je fuis père et mère, femme et frère lorsque mon génie m’appelle. J’écrirais volontiers sur les linteaux de la porte d’entrée: « Caprice ». J’espère du moins que c’est quelque chose de mieux qu’un caprice, mais nous ne pouvons pas passer la journée en explications ».

Au fond, et sans du tout nier le tragique de la vie, l’immense souffrance des hommes et la cruauté de leurs échecs, je crois qu’il est sain de percevoir le monde comme un théâtre où le comique de nos prétentions et quiproquos nous invite à l’humilité. Que savons-nous et que pouvons-nous savoir de l’absolu et de l’éternel ? Que pouvons-nous imposer à autrui au nom de Dieu ? Nous passons notre temps à parler de choses dont nous ignorons l’essentiel, à usurper des pouvoirs qui ne nous appartiennent pas, à nous contredire dans notre propre existence et entre nous. Est-ce à dire que tout doit être relativisé ? Assurément non, et c’est même le contraire que nous enseigne cette évocation. C’est parce que nous avons vocation à cheminer dans la vérité qu’il nous faut la respecter absolument et renoncer à la travestir dans des formes chosifiées pour en user à nos propres fins. C’est parce que les institutions constituent l’indispensable cadre de notre existence personnelle et collective qu’il nous faut en prendre soin sans nier leur fragilité et leur nature passagère, ni en faire des instruments de domination. La Parole, parmi les humains, a pris dans des formes de vie différentes, et s’il y a un temps pour protester, résister, dissider parfois, aménager des camps de toiles dans la nuit, il y a aussi un temps pour construire des espaces qui soient des théâtres accueillants pour nos communautés, apte à donner un cadre à la suite des réinterprétations de l’évangile, et enfin il y a un temps pour s’effacer afin que le monde puisse continuer à renaître.

Propos recueillis par Jean-Marie Kohler, rédacteur en chef de la revue Parvis

(1) Cette interview conclut un dossier intitulé « La subversion évangélique ».

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Résolutions, réformes et crise dans l’Eglise catholique

Le cardinal Reinhard Marx , évêque de Trêves de 2001 à 2007, puis archevêque de Munich depuis 2007 et qui a été créé cardinal en novembre 2010 a été interviewé par le journal munichois Merkur.

Vue la manière dont fonctionne l’Eglise, vu le serment d’allégeance au pape des évêques, on ne peut pas attendre de révélations fracassantes. D’ailleurs, à plusieurs reprises il dit être en accord avec Benoît XVI avec ses affirmations. Analysons certaines de ses réponses. On y détecte d’abord une très grande prudence, ensuite l’énoncé de certaines évidences qui ont l’assentiment de la très grande majorité, puis l’évocation d’un certain nombre de problèmes mais en se gardant bien de proposer des solutions concrètes ce qui évite tout écueil de se faire critiquer.

Donnons quelques exemples

Le problème des divorcés remariés

« Nous ne devrions par uniquement restreindre notre réflexion à l’accès à la table eucharistique (C’est une évidence). Comment pouvons nous tolérer d’une façon ou d’une autre cette seconde union, sans d’un autre côté mettre en péril le principe de l’indissolubilité du mariage ? Cette problématique me préoccupe beaucoup et je n’ai pas de solution simple. Mais je peux vous assurer que j’en ai déjà parlé au saint Père. Et il faudra aussi en discuter dans l’église allemande » Bref on évoque un problème en maniant parfaitement la langue de bois.

Pourquoi tellement d’aversion face au changement ?

« J’ai toujours eu conscience que l’Eglise devait toujours se réformer. Non pas pour inventer une nouvelle Eglise, mais pour l’adapter aux nouvelles situations (C’est une évidence).  C’est pour cela que je ne peux absolument pas comprendre ceux qui disent qu’il ne faut absolument rien changer. Mais il n’y a pas unanimité sur la manière de réformer. Réformer ne signifie pas jeter pardessus bord la notion d’indissolubilité du mariage, le célibat des prêtres ou les vœux de ceux qui rentrent dans les ordres. La réforme ne signifie pas : comment faire des aménagements pour nous rendre la vie plus agréable ? Il s’agit  de se poser la question : comment vivre plus spirituellement et intensément l’Evangile ? » Encore la langue de bois et aucune proposition concrète.

La compréhension du mot dialogue est aussi une question de définition. Le dialogue avec les laïcs n’est-il pas source d’irritation, car la conception hiérarchique de l’Eglise ne laisse aucune place au dialogue ?

« Tous, que ce soient les évêques, les prêtres ou l’ensemble des croyants, sont subordonnés à la parole de Dieu et à la foi de l’Eglise. Et ceci n’est pas négociable, car nous ne sommes pas les maîtres de la foi et de l’Eglise. L’Eglise n’est pas une association où c’est l’assentiment de la majorité qui puisse changer quelque chose. Cela insécurise aussi le pape, à savoir que toutes ces discussions au fond sont perçues comme un processus politique et qu’après il y a des déceptions parce que pour établir un plan de gouvernement dans l’Eglise, ce qui a été discuté ne fasse pas l’objet d’une procédure législative. »

Bref tout est verrouillé  parce que tout ce qui se passe dans l’Eglise, c’est Dieu qui l’a voulu ainsi. Eventuellement on lui donne un coup de pouce en se déclarant infaillible. Mais pas un soupçon  d’une culture du dialogue à l’intérieur de l’Eglise et d’un fonctionnement un peu plus démocratique. On pourrait parodier la phrase du gouvernement de Corée du Nord « Que tous ces chefs de gouvernements qui se font des illusions, sachent que rien ne changera en Corée du Nord »

Lettre ouverte à Mgr Descubes

Nous, laïcs chrétiens du diocèse de Rouen, nous prenons à notre compte et nous venons porter vers vous les questions et l’interpellation lancées à notre Église par les prêtres du diocèse qui, dans la suite des prêtres autrichiens, ont écrit un “Appel à la désobéissance… pour une plus grande obéissance à l’évangile”. Ils ajoutent aussi “qu’ils veulent une Église qui soit à l’écoute des besoins et des attentes des hommes d’aujourd’hui, une Église solidaire des pauvres et des exclus”.

Si nous prenons au sérieux l’enseignement du Concile sur la vocation universelle des baptisés, la situation de nos petites communautés dispersées, le fait qu’il y a davantage de laïcs engagés et formés, capables de responsabilités, il nous paraît urgent de nous engager nous aussi dans cette démarche, en tant que laïcs, pour faire évoluer l’ Église catholique à laquelle nous sommes attachés. Celle-ci nous semble trop frileuse et manquer d’audace pour trouver les moyens de répondre aux besoins du peuple chrétien et du monde d’aujourd’hui.

Le Synode a souhaité « la reconnaissance de ministères confiés à des fidèles laïcs pour répondre à la situation actuelle de l’ Église diocésaine » (IV.15). Mais il convient d’aller beaucoup plus loin et plus vite par rapport à ce qui est proposé, afin que laïcs et prêtres soient collectivement responsables de l’animation des communautés chrétiennes. Celles-ci doivent en effet pouvoir partager partout et toujours la Parole, le Pain et le Vin.

On imagine par exemple une communauté urbaine ou rurale, privée d’eucharistie et de partage d’évangile, qui pourrait se réunir, proposer le nom d’une ou deux personnes, hommes ou femmes d’expérience, mariés ou célibataires, pour un ministère au service de la communauté et ce serait à l’évêque de valider cette proposition. Sans nier la valeur du célibat consacré choisi librement par ceux qui envisagent de devenir prêtres, nous souhaitons que l’Église latine réfléchisse dès aujourd’hui à l’ordination de ministres de l’Eucharistie et de la Parole sur des bases plus larges, comme cela se fait dans les Églises orientales et les autres Églises chrétiennes.

Nous souhaitons aussi que l’on dynamise fortement l’appel de diacres permanents, trop peu nombreux aujourd’hui, en particulier dans notre diocèse. C’est un acquis de Vatican II insuffisamment exploité actuellement.

Nous souhaitons que l’on reconnaisse à des laïcs baptisés, hommes et femmes compétents, le droit de faire des homélies, pratique qui s’est répandue avec bonheur après Vatican II et qui est aujourd’hui remise en cause. Beaucoup y sont préparés par les formations reçues au diocèse.

Nous souhaitons également que l’Église cesse de refuser l’eucharistie aux fidèles divorcés-remariés au nom d’une discipline qui fait souffrir inutilement. Chacun sait d’ailleurs qu’heureusement de nombreux prêtres, en conscience, s’écartent des directives canoniques.

Enfin, il est vital d’établir un vrai dialogue entre prêtres et laïcs, entre chrétiens de tendances différentes, voire opposées, car il est urgent de faire entendre à nos contemporains une parole plus soucieuse de promouvoir une Bonne Nouvelle que d’édicter des règles de morale, dont beaucoup sont incompréhensibles et le plus souvent inappliquées.

Nous partageons l’inquiétude de Gérard Bessière, prêtre, qui écrit le 18 octobre 2011 :

« Des milliers de chrétiens ‘ s’en vont sur la pointe des pieds’ sans être écoutés pendant qu’on recherche longuement un accord avec les intégristes(…). N’assistons-nous pas à l’enterrement discret du concile Vatican II ? »

Oui, nous sommes de ceux qui souhaitent une Église à l’écoute des besoins et des attentes des hommes et des femmes d’aujourd’hui, une Église solidaire des pauvres et des exclus.

Publié sur le site de Jonas http://groupes-jonas.com/?Lettre-ouverte-a-Mgr-Descubes

L’appel des prêtres autrichiens n’est pas un cas isolé

En Autriche, l’Appel à la désobéissance est maintenu

Dans leur dernière newsletter, Helmut Schüller et les désormais 407 diacres et prêtres signataires de l’Appel à la désobéissance disent ceci: « On nous a demandé de retirer notre appel. Mais nous ne pouvons le faire en conscience, alors que nous continuons à être d’accord avec son contenu ».

Le père Schüller a expliqué que « les laïcs ne sont pas des clients d’une enseigne quelconque, mais les pierres de l’édifice de l’Eglise. Ils devraient être de plus en plus présents dans les décisions, grâce à leur expérience de la vie, mais l’Eglise a peur d’eux, elle les considère comme infectés par la sécularisation et le relativisme ». Un point de vue que je partage, car les fidèles ont toujours su prendre des avis justes sur les faits de société, sans avoir l’air de dangereux athées. L’Église doit se rendre compte que le fidèle n’est pas un mouton mais aussi une de ses composantes dont l’avis importe autant que celui de la hiérarchie.

Dans la newsletter, les prêtres rebelles expliquent qu’ils ont été invités à discuter avec le cardinal Schönborn, mais qu’ils avaient refusé pour éviter « que quelques membres du haut clergé discutent de choses qui concernent l’ensemble des fidèles avec quelque membres du bas clergé ». Les prêtres n’ont pas eu tort de refuser car ce qui doit être fait pour tous doit être décidé par tous.

La semaine dernière, comme le rapporte le journal autrichien Der Standart, Helmut Schüller était l’invité de l’Union des entrepreneurs chrétiens de Sankt Pölten pour parler du thème « Désobéissance dans l’Eglise et dans l’économie ». « Nous l’avons invité parce qu’il est controversé », a déclaré le président de l’Union. « Et le diocèse ne s’immisce pas dans notre programmation ».

Du côté de l’évêché, le discours est un peu différent : on n’a pas fait interdire la réunion, ce que l’on aurait pu faire puisqu’elle a eu lieu dans des locaux diocésains, mais on a clairement dit que l’initiative ne « réjouit pas ». Elle peut ne pas réjouir, mais Helmut Schüller était le bon invité pour parler de la désobéissance à cette réunion, car pour désobéir, il faut de bonnes raisons et c’est le cas ici.

Le mouvement commence à se stabiliser et semble se renforcer, quoi de plus normal, vu que les prêtres et les fidèles s’y retrouvent. Il est dommage que l’Église ne comprenne pas ce mouvement qui pourrait lui donner un peu d’oxygène en ces temps de crise pour elle.

Cette partie de l’article se trouve sur le site : http://paroissiens-progressiste.over-blog.com/article-en-autriche-l-appel-a-la-desobeissance-est-maintenu-86412686.html

Des prêtres de Rouen rejoignent l’appel à la désobéissance des prêtres autrichiens

Une douzaine de prêtres du diocèse de Rouen ont signé le manifeste des prêtres autrichiens pour demander des réformes dans l’Église.

Selon le quotidien régional Paris-Normandie , trois prêtres ont pris la tête, dans le diocèse, de ce mouvement : « Nous voulons une Église qui soit à l’écoute des besoins et des attentes des hommes d’aujourd’hui, une Église solidaire des pauvres et des exclus » explique le P. Paul Flament, entouré du P. Guy Gravier, curé de Grand-Couronne, et du P. René Gobbé, délégué à la pastorale des migrants.

Ces prêtres avaient d’ailleurs été signataires d’une lettre ouverte allant dans ce sens, publiée par La Croix en 2008 (« Qu’attendent nos évêques ? »). Par leur mobilisation, qu’ils espèrent bien voir s’étendre dans les diocèses voisins du Havre et d’Évreux, ils souhaitent montrer que la question ne saurait être circonscrite à la seule Église d’Autriche.

L’archevêque de Rouen, Mgr Jean-Charles Descubes, n’a pas souhaité s’exprimer sur le fond de cet appel à la désobéissance.

Dans leur manifeste, les prêtres autrichiens, plus de 300 selon le site de l’appel, souhaitent que les laïcs puissent désormais prononcer des sermons et diriger des paroisses, afin de faire face au recul des vocations. Ils annoncent aussi qu’ils ne refuseront pas la communion aux divorcés remariés, et qu’ils feront campagne pour l’ordination des femmes et des personnes mariées.

En Irlande, les prêtres contestataires s’organisent

Voir le blog paroissiens progressistes  http://paroissiens-progressiste.over-blog.com/article-en-irlande-les-pretres-contestataires-s-organisent-86377925.html

Déclaration des Prêtres Mariés « Chemins Nouveaux » association membre des Réseaux du Parvis

A l’occasion de leur rencontre annuelle, le 9 octobre 2011 à Paris, les prêtres mariés du groupe « Chemins Nouveaux » et leurs épouses font la déclaration suivante :

«  Nous entendons en ce moment l’appel de nombreux prêtres en exercice en faveur de l’ordination d’hommes mariés et de femmes, en faveur de ceux et celles qui vivent des divorces, nous entendons l’appel de tous ceux qui aspirent à une parole qui ne soit plus confisquée par l’Eglise institutionnelle.

346 prêtres autrichiens ont fait cette demande, quelques prêtres français déclarent ouvertement soutenir leur démarche. Beaucoup de prêtres et de laïcs, inquiets à juste titre de la baisse de vitalité des communautés chrétiennes et du manque de dialogue dans l’Eglise, soutiennent sans conteste le mouvement.

Nous qui avons fait le pas vers le mariage et continuons à vivre de l’Evangile au service du Seigneur et de nos frères de multiples façons, approuvons cet appel dans le sens d’une fidélité à l’esprit même de l’Evangile et à la tradition apostolique.

Le serviteur que Jésus a voulu, lui, le Fils de Dieu incarné, n’est pas hors du monde, il est dans le monde, messager d’une Bonne Nouvelle et rassembleur des hommes dans l’Amour.

Parce que nous aimons Dieu et nos frères, nous demandons à l’Eglise, à nos évêques, à celui qui est « le premier parmi ses semblables », d’ouvrir leur esprit et leur cœur au souffle de l’Esprit, comme au premier jour de l’Eglise.

L’Evangélisation dans un monde nouveau oblige à des ajustements courageux.

Vous pouvez consulter leur site  http://www.pretresmaries.eu/

Déclaration de la « Fédération européenne des prêtres catholiques mariés » (FEPCM)

« Nous, prêtres mariés et leurs épouses de la « Fédération européenne des prêtres catholiques mariés » (FEPCM), présents dans différents groupes actifs aujourd’hui en Belgique, France, Espagne, Allemagne,  Royaume-Uni, Italie, Autriche, nous vous remercions de votre prise de position et nous avons décidé de vous assurer de notre soutien.

Fidèles aux orientations du Concile Vatican 2, nous ne pouvons que constater comment les nombreuses ouvertures qu’il avait permises sont aujourd’hui freinées, voire rejetées. 

Nous savons d’autre part que la réforme urgente et nécessaire viendra d’abord par la volonté et les initiatives de la base.

Après tant de chrétiens qui ont déjà pris les chemins d’une Église « Autre », nous nous réjouissons de voir enfin des prêtres choisir de suivre leur conscience et mener une action collective, sachant que le corps épiscopal en est actuellement réduit à se taire sous prétexte d’unité.

Mais l’Unité n’est pas dans l’uniformité, ni dans la soumission aveugle.

Nous soutenons notamment l’opposition au système actuel de regroupement de paroisses qui va à l’encontre d’un ministère inséré dans la communauté et créateur de lien social et fraternel.

Nous allons continuer à diffuser votre manifeste auquel nous ajouterons dorénavant notre lettre de soutien.

Nous vous souhaitons persévérance et force dans cette longue marche.

Que l’esprit de Jésus guide nos esprits et nos cœurs. »

Lorsqu’un barrage risque de s’écrouler, il y a des signes avant coureurs. Souhaitons que des mesures soient prises avant qu’arrive une inondation générale avec tous les dégâts que cela risque d’occasionner. Lorsqu’un barrage est trop vieux, pour éviter les inondations, il faut le vider

C’est inouï, tout ce que Dieu est sensé vouloir

Avec l’appel des prêtres autrichiens, mais ils ne sont de loin pas les seuls, revient entre autre à l’ordre du jour le célibat du prêtre, l’ordination sacerdotale des femmes. Et un observateur extérieur et bon nombre de membres de l’Eglise ne peuvent que rester perplexes à la surdité apparente de la hiérarchie de l’Eglise. Bien plus, on sanctionne  évêques, prêtres ou théologiens qui osent seulement se poser la question d’une éventuelle remise en cause du célibat du prêtre ou de l’ordination sacerdotale de la femme. De plus on fait prêter aux évêques, un sermon d’allégeance au pape. Le contredire est donc une faute grave de rébellion

Bien que cette attitude soit difficile à comprendre, lisons l’interview que le Cardinal Mauro Piacenza, préfet de la Congrégation pour le clergé, a donnée le 20 septembre dernier à Zenit, journal promu par les légionnaires du Christ. http://www.zenit.org/article-28980?l=french Précisons qu’il ne s’agit pas de faire un procès d’intention à ce cardinal précis. Il n’est hélas que le reflet d’une bonne partie de la hiérarchie catholique

Vous y découvrirez que c’est Dieu qui a voulu cela. Un argument en béton qui interdit toute remise en cause. Quelle inconscience, quelle faute grave que de vouloir remettre en cause la volonté de Dieu. Et on en est sûr à 100% qu’il en soit ainsi. Par quels mystères, par quels cheminements connaît-on sans se tromper la volonté de Dieu ? On ne peut que glisser dans le discours idéologique, confondre volonté de Dieu et traditions (que j’écris volontairement avec un petit t). Se forger soi-même un carcan dans lequel on s’enferme et qui n’a plus rien à voir avec  une exigence évangélique quelconque, quel drame, ceci d’autant plus que s’enfermer dans un bunker idéologique de certitudes coupe complètement du monde et des réalités de la base.

Juste quelques citations :

L’Eglise est fondée par le Christ et nous ne pouvons pas, nous les hommes, déterminer son profil. La constitution hiérarchique est liée au sacerdoce ministériel, qui est réservé aux hommes. L’Eglise est le Corps du Christ et en son sein, chacun est membre selon ce qui a été établi par le Christ. Par ailleurs, dans l’Église il n’est pas question de rôles masculins et de rôles féminins mais plutôt de rôles qui supposent, par volonté divine, une ordination ou pas.

La hiérarchie dans l’Eglise, en plus d’être une institution qui vient directement de Dieu, doit toujours être vue comme un service à la communion. Seule  l’équivoque, dérivant historiquement de l’expérience des dictatures pourrait faire penser à la hiérarchie ecclésiastique comme à l’exercice d’un « pouvoir absolu »

Le célibat  n’est pas une simple loi ! La loi est la conséquence d’une réalité bien plus élevée que l’on ne saisit que dans la relation vitale avec le Christ. Le véritable drame réside dans cette incapacité aujourd’hui à faire des choix définitifs, dans cette terrible réduction de la liberté humaine qui, devenue si fragile, n’arrive plus à poursuivre le bien, même lorsque ce bien est reconnu et perçu comme une possibilité pour notre propre existence.

La prière pour les vocations, un réseau intense, universel, étendu, de prière et d’adoration eucharistique qui enveloppe tout le monde, est la seule véritable et possible réponse à la crise des vocations.

Si bien que c’est dans le courage de la vérité, au risque d’être insultés et méprisés, que se trouve la clef de la mission dans notre société ; et c’est ce courage, qui forme un tout avec l’amour, avec la charité pastorale,  que l’on doit retrouver et qui rend encore plus fascinante, aujourd’hui plus que jamais, la vocation chrétienne.

Que toutes les forces s’unissent non pour se dire que nous sommes tous « frères et soeurs » mais pour se communiquer l’audace d’inventer nous mêmes » l’Eglise autrement dans la sérénité et la confiance », sans crainte d’incompréhension ni d’affrontement mais sans les provoquer. La vie en Eglise se crée autrement, sans attendre d’autorisation et sans se croire obligé de désigner des ennemis.

Vous avez compris que cette dernière citation n’est pas du cardinal Piacenza

Lettre à un jeune prêtre

Voici un extrait du livre de PIETRO DE PAOLI « Lettres à un jeune prêtre » Plon mars 2010, où par le biais de la fiction un évêque se référant au Concile Vatican II, écrit à un jeune prêtre d’à peine 30 ans ayant la mentalité d’une bonne partie des jeunes prêtres actuels.

Ce que je pointe, c’est la vision du prêtre comme un être sacré, un homme séparé. Il y a dans notre tradition, catholique (et c’est à dessein que je ne mets pas de majuscule au mot tradition, car ce n’est qu’un usage, qui prévaut dans un temps donné, qui a varié dans le temps et qui pourrait encore changer), une vision du prêtre, comme un homme mis à part par le Seigneur. Dans cette perspective, le prêtre endosse le caractère sacerdotal du peuple de Dieu, tel qu’il est révélé dans l’Ancien Testament. En effet, c’est le peuple tout entier qui est mis à part parmi les nations, choisi et élu. Cette vision rejoint aussi la façon de percevoir la vocation prophétique. Le prophète de l’Ancien Testament est l’objet d’un appel qui le met à part, pour une mission qui, c’est le moins qu’on puisse dire, n’est pas « la meilleure part ». Au point qu’il n’est pas rare que le prophète essaie d’échapper à Dieu. L’histoire de Jonas est, dans son mode épique et exagéré, exemplaire.

Rien de cela dans la façon dont Jésus choisit ses apôtres et ses disciples, rien de cela dans la façon dont sont choisis les anciens, presbytres et épiscopes, dans les écrits apostoliques. Tous sont choisis « au milieu de », comme « faisant partie de ».

Tu le sais bien, les premiers « prêtres » sont les chefs de communauté, des hommes sages qu’on désigne sous le vocable de presbytres ou d’épiscopes. Ils président le repas du Seigneur (les premières eucharisties), gouvernent les communautés, arbitrent les conflits, transmettent l’enseignement des apôtres. Il faudra des dizaines d’années, sans doute même un ou deux siècles, avant que le collège des collaborateurs de l’évêque soit ordinairement qualifié de collège de « prêtres ». Il faut dire que les premiers chrétiens ne tenaient à être confondus ni avec la religion civile romaine, qui avait ses prêtres sacrificateurs, fonctionnaires du « sacré », ni avec les adorateurs des divers cultes à mystères souvent originaires d’Orient et qui fleurissaient un peu partout. Les chrétiens manifestaient d’ailleurs si peu de sens religieux qu’aux yeux des Romains, qui avaient pourtant une très grande tolérance religieuse, ils étaient considérés comme des athées. C’est d’ailleurs en cela qu’ils constituaient une menace : comment faire confiance à des gens « sans foi ni loi »?

Et tu sais bien que, alors, les prêtres, comme les évêques, sont choisis par les communautés. Ils ne sont pas mis à part, mais choisis au milieu de tous et pour tous. Il n’est qu’à prendre l’exemple d’Ambroise de Milan, choisi pour sa sagesse, et qui n’était pas même baptisé. En un jour, il faut le baptiser et l’ordonner évêque… contre son gré, par l’action du peuple qui crie sans se lasser : « Ambroise, évêque ! » On était déjà au ive siècle, plus de trois cents ans après la résurrection du Christ, après Constantin. Le christianisme avait pignon sur rue. On ne peut guère prétendre qu’il s’agissait des « premiers temps » de l’Église…

Je te passe les innombrables siècles où les prêtres, dans leur quasi-majorité, ne répondent pas à une vocation, mais choisissent un métier, un « état », poussés par le curé du village ou parce que leur rang dans la famille les y contraint. Ça ne faisait pas forcément de mauvais prêtres, pas plus que les mariages de raison ne faisaient nécessairement de mauvaises unions. Certains époux tombaient amoureux l’un de l’autre, comme certains prêtres découvraient une véritable vocation.

Il a fallu attendre le XVIIIe siècle et l’exaltation des sentiments pour que l’on commence à se marier par amour et à entrer au séminaire par vocation. Et c’est au cours du XXe siècle que la prédominance du sentiment (de ce qui est ressenti) a prévalu sur tout autre motif — du moins en Occident, sachant que le modèle occidental a tendance à se répandre.

Il n’y a pas, au cours des siècles, une vision constante et unifiée de ce qu’est « le prêtre ».

De surcroît, pour nous, toi et moi, catholiques romains d’Occident, il y a depuis environ mille ans l’obligation du célibat. Il est certain que cette obligation, qui a eu beaucoup de mal à s’imposer, a largement contribué au statut « sacré » du prêtre. Puisque nous ne prenons pas de femmes (et encore moins d’hommes…), nous devenons des « intouchables ». Cette obligation, qui a pour origine la lutte contre le nicolaïsme (l’appropriation des charges et des biens d’églises par les prêtres pour leur fils), est avant tout une réponse pragmatique à un problème réel qui à l’époque est porteur de scandale. Ensuite, on a justifié la chose en développant des spiritualités de don total de soi, de préférence absolue pour le Christ, et aussi de pureté rituelle. Le résultat, c’est que cette discipline fait de nous des sortes d’« étrangers ». Oui, j’ose le mot, étrangers aux préoccupations ordinaires et légitimes des humains. Les soucis que nous n’avons pas, conserver l’amour et l’estime de notre épouse, élever dignement nos enfants, nous soucier de leur éducation, craindre pour leur santé, gagner notre vie afin de leur assurer un toit sur la tête, un repas dans leur assiette, un financement pour leurs études et de quoi payer leur abonnement de portable, nous mettent à part, que nous le voulions ou pas.

La vraie question, c’est de savoir comment nous faisons pour porter notre célibat comme une fécondité et non comme une stérilité. Comment le fait d’accepter d’entrer volontairement dans ce manque radical nous humanise-t-il ? Il faut pour cela prendre comme une grâce la fragilité qu’induit notre célibat et la solitude qui lui est liée. C’est une vaste question. Nous avons toute une vie pour y répondre. Et à chaque âge de notre vie, nous répondons différemment. Dans la jeunesse de notre engagement, nous ressentons le vide de nos bras qui ne se resserrent pas sur la présence d’un autre être humain. Puis, nous devenons pauvres des enfants que nous n’aurons pas. L’âge venant, nous ne cultiverons pas l’art d’être grand-père et, pour finir, nous redouterons les abandons de la vieillesse. Au fur et à mesure, il nous faut réactualiser notre choix de vie et découvrir comment ces fragilités nous rendent intimement solidaires de la condition humaine et nous ancrent dans la réalité.

Le vrai risque, c’est de penser que parce que nous sommes « libérés » des pesanteurs ordinaires, nous sommes déjà « du ciel ». Mais nous savons bien que c’est faux. Être ailleurs, loin des humains, c’est toujours du même coup être loin de Dieu.

Je suis toujours rempli de tristesse quand les gens, couples de fiancés, jeunes parents, futurs confirmés, honnêtes grands-mères, me disent, comme par automatisme :

— Mais vous, Père, ce n’est pas pareil.

Comme si j’appartenais à une autre race qu’eux ! Cette phrase me déchire le coeur. Le danger, c’est qu’au lieu d’être des médiateurs, des passeurs, de permettre à ces gens de voir Dieu qui vient vers eux, Dieu qui les attend, notre étrangeté devienne un obstacle et leur fasse penser que Dieu est pour les gens comme nous, les spécialistes, les « mis à part », mais qu’eux ne le méritent pas.

Alors, non, moi je ne veux être ni une « vache sacrée », ni un intouchable ! Je ne suis pas un homme tabou. Je veux être un homme au milieu des hommes, comme Jésus le fut.

Je t’entends bien cependant quand tu dis que tu veux être « un signe de la présence de Dieu, un signe de l’exigence de Dieu », et que tu ajoutes : « au risque d’être un signe de contradiction ». À cause de cela, tu n’hésites pas à être un signe visible, m’expliques-tu, en particulier dans ton vêtement, en portant le col romain et volontiers la soutane. Et tu me fais une sorte de remontrance en me disant que si, tout jeune prêtre, j’avais porté le col romain, mon paroissien qui voulait se confesser aurait su que j’étais un prêtre, et, ajoutes-tu, moi aussi.

Plus généralement, tu me parles d’être un signe. Est-ce que la visibilité des cols noirs et des soutanes dans la rue est un signe de la présence de Dieu? J’en doute. Un signe de contradiction, oui. Mais est-ce que tu crois qu’un prêtre en soutane suscite plus de sympathie qu’une femme en burka ? Les gens haussent les épaules : encore un fou de Dieu! Dans le meilleur des cas, ils trouvent ça folklorique ! Tu es un signe, oui, mais un signe d’attachement communautaire ou un signe du passé, pas un signe de la présence de Dieu, pas un signe de communion.

Il n’y a, pour nous chrétiens, qu’un seul signe de contradiction, c’est la croix du Christ. Paul l’a dit le tout premier en des termes puissants qui n’ont pas pris une ride : « Folie pour les juifs, scandale pour les païens. »

C’est la croix du Christ, le signe de contradiction, le signe du fol amour de notre Dieu, pas toi, généreux jeune homme drapé dans ta robe noire. Et, pour le reste, je te rappelle que la soutane, telle que nous la connaissons, n’a guère été portée plus de deux siècles, et encore, et que son premier usage est d’être un jupon qui cache les jambes quand on porte par-dessus une aube pleine de dentelles et de festons ajourés…

Pour le col romain, j’ai envie de dire : qu’importe, c’est une question de mode, rien d’autre. Quant à moi, je trouve ridicule de porter ce machin raide dans la vie courante. C’est un des bonheurs de la modernité de nous avoir libérés de l’obligation de porter constamment un vêtement conforme à notre état. Pas un de mes amis ne porte de cravate pour aller marcher en forêt, faire les courses ou accompagner ses enfants au cours de danse, pas plus que les filles ne portent de tailleur si elles ne sont pas dans une obligation de représentation.

Ces considérations vestimentaires posées, reste la question importante, celle de la visibilité. C’est l’une des grandes questions du catholicisme aujourd’hui dans le monde dit « sécularisé ». Question débattue ordinairement sous la forme : « Comment redonner de la visibilité… » Or, c’est une mauvaise question.

Je vais être provocateur, de la visibilité, nous en avons : il y a des églises vides et fermées partout. Les gens peuvent donc très bien voir ce qu’il y a à voir : l’effacement du catholicisme dans sa forme paroissiale historique. Qu’est-ce qu’ils voient d’autre? Le pape de Rome ! Le précédent était un géant médiatique drainant des foules immenses. L’actuel est un petit homme crispé sous le poids de la charge, soulevant la tendre affection de quelques généreux jeunes gens et jeunes filles, prêts à en découdre avec quiconque « toucherait à leur pape », petite cohorte de fidèles dont tu es sans doute.

Mais les gens ordinaires, ceux qui regardent la télé et font leurs courses au supermarché, ils voient mais n’entendent pas, ne comprennent pas. Notre problème, ce n’est pas la visibilité, c’est la lisibilité. Être visible, c’est facile, il suffit de douze mètres de moire rouge en capa magna, et, semble-t-il, certains prélats romains s’y adonnent avec grande jubilation. Mais est-ce que ça fait résonner l’Évangile?

Notre visibilité n’a aucune importance, nous ne sommes pas une multinationale qui mène une politique d’image. Nous n’avons pas à faire de communication sur nous-mêmes, nous avons à communiquer Dieu. Et le pire serait que nous fassions écran. Que je sache, le Christ, comme tous les hommes de son temps, portait une tunique et un manteau. Il mangeait et buvait comme tout le monde et avec tout le monde et rien ne le distinguait parmi les hommes que sa parole et le regard qu’il posait sur ceux qu’il croisait.

Un évêque australien démis de sa charge

Benoît XVI a relevé de sa charge pastorale, lundi 2 mai, Mgr William Morris, évêque de Toowoomba (Australie). Mgr Brian Finnigan, évêque auxiliaire de Brisbane, a été nommé administrateur apostolique.

Dans une lettre lue dimanche 1er mai dans toutes les églises de ce diocèse du Queensland (est), Mgr Morris, 67 ans, avait par avance annoncé son départ, écrivant que le pape a « considéré que le diocèse serait mieux administré sous l’égide d’un nouvel évêque ». Selon Mgr Morris, cette procédure exceptionnelle de révocation fait suite à une enquête ordonnée après des plaintes concernant une lettre pastorale publiée à l’Avent 2006 dans laquelle il estimait que, compte tenu de la baisse du nombre de prêtres, l’Église devait ordonner des hommes et des femmes mariés, discuter de la réintégration des prêtres ayant quitté le sacerdoce, ou encore admettre les ordinations conférées par les anglicans et les protestants.

Ses propos, « délibérément mal interprétés », estime l’ancien évêque, ont poussé le Saint-Siège à envoyer l’archevêque de Denver (États-Unis), Mgr Charles Chaput, mener une visite apostolique dans le diocèse et à ouvrir un dialogue avec les Congrégations pour les évêques, pour le culte divin, pour la doctrine de la foi, ainsi qu’avec le pape.

Une procédure rare

Dans sa lettre, Mgr Morris reproche à Rome son manque de transparence et un déni de justice : « Je n’ai jamais vu le rapport du visiteur apostolique ». Il estime qu’« aucune possibilité d’une défense appropriée » ne lui a été laissée. La procédure de révocation par laquelle le pape peut retirer sa charge à un évêque est rare, la plupart des cas se résolvant par une démission « pour toute autre cause grave » au sens du canon 401 § 2. Cette procédure inhabituelle avait été utilisée en janvier 1995 lorsque Jean-Paul II a retiré sa charge d’évêque d’Évreux à Mgr Jacques Gaillot. Le 31 mars dernier, pour la première fois depuis de nombreuses années, un autre prélat s’était vu retirer sa charge pour de « graves problèmes de gestion » au sein de son diocèse : Mgr Jean-Claude Makaya Loemba, évêque Pointe-Noire (Congo Brazzaville)

.Journal La Croix 2 mai 2011  

J’ai honte de mon Eglise

Non seulement l’Eglise s’obstine dans son aveuglement idéologique à refuser toute réflexion sur les ministères, en particulier sur le ministère des prêtres, mais elle condamne ceux qui ont le courage de le faire. Tel est le dernier acte de Saint Benoît XVI. Mais non je m’égare, il ne s’agit que du Saint Père. Rappelons néanmoins que le 9 février 1970, un certain Joseph Ratzinger a cosigné un manifeste de théologiens allemands demandant que l’on reconsidère l’obligation du célibat des prêtres, pour exactement les mêmes motifs

Voici l’intégralité du mémorandum en allemand

Georges Heichelbech

La baleine et le papillon – ou – comment réveiller l’Église de Jésus Christ

Je ne demande pas qu’on change l’Église. Je demande qu’elle soit vivante. Je réclame qu’elle reste fidèle à sa mission, qu’elle porte la parole du Christ à nos contemporains, qu’elle témoigne du monde renouvelé par l’Esprit. II ne s’agit pas de la conserver comme un trésor au risque d’en faire un conservatoire des mœurs d’antan. II ne s’agit pas de la rafistoler par quelques astuces pour qu’elle survive un hiver ou deux de plus. II s’agit qu’elle trouve les gestes et les mots qui diront Dieu au monde d’aujourd’hui.

Elle est mon Église et il n’est pas question de me désolidariser d’elle. J’assume son histoire avec fierté souvent, avec honte parfois, avec résignation toujours. Je prends tout en elle, le meilleur et le pire, les croisades et les conciles, Alexandre VI et Jean-Paul II, la cour de Rome et les saints. Je crois que cette histoire d’hommes avec ses héros et ses lâches, ses audaces et ses calculs, n’est sainte que par l’Évangile qu’elle porte.

Je lui demande seulement de rester dans l’histoire sans se figer dans l’éternel. Je lui demande de ne pas sacraliser son passé au point d’être indisponible au présent. Je l’implore de renoncer aux réussites mondaines et aux vaines richesses pour ne pas « contrister » l’Esprit qui l’appelle.

J’aimerais qu’elle se rende compte qu’il lui faut changer parce que le monde qui est le champ de sa mission change. II me plairait qu’elle reconnaisse le travail de l’Esprit mieux que les traces du démon. Les nouveautés ne sont pas forcément des valeurs qui se perdent mais souvent aussi des « signes des temps », prémices du Royaume. II faut qu’elle ouvre les portes de l’espérance au lieu de cultiver les archives de la nostalgie.

Elle a inventé l’école pour tous. Elle a appris aux hommes à lire et à écrire. Elle a voulu que l’homme grandisse mais elle s’affole aujourd’hui parce que son discours ne passe plus. Son « catéchisme » peut être aussi riche et cohérent que possible mais des hommes adultes n’attendent plus un catéchisme. Ils souhaitent qu’on écoute leurs questions avant de leur donner des réponses. Ils préfèrent dialoguer avec Dieu plutôt qu’on leur parle de Lui.

Elle a dénoncé les mariages d’intérêts, les unions arrangées par les parents. Elle a défendu la liberté des époux et promu l’amour au cœur du couple. Mais elle est toute surprise aujourd’hui qu’on n’accepte plus la triste fidélité hypocrite d’autrefois. La Bible nous parle pourtant d’une alliance d’amour en permanence trahie et en permanence renouvelée.Elle a voulu l’éducation des filles. Elle les a encouragées à prendre leurs responsabilités. Elle se réjouit de les voir accéder à une vocation personnelle. Elle sait la place qu’elles tiennent concrètement dans la vie quotidienne des communautés. Mais la voilà toute perdue parce que les femmes acceptent mal qu’on leur refuse, dans la vie de l’Église, les responsabilités de direction.

Elle a développé un discours sur la sexualité, la chasteté, le célibat, la virginité, moins à partir de la tradition biblique qu’à travers une philosophie néo-platonicienne et une anthropologie naïve. Elle s’étonne que le monde d’aujourd’hui comprenne mal son propos et peine à retrouver un Dieu qui a pris corps et qui a donné son corps pour le salut du monde.

La Pentecôte rassemble la diversité des peuples dans un même Esprit. L’Église – et l’Église catholique en particulier – a tout fait pour pacifier les frontières et encourager les échanges. Elle ne saurait se contenter d’inviter les nations riches à reconnaître leurs racines chrétiennes en ignorant le brassage de populations, contrôle ou pas, qui bouscule les états, les consciences et les nations.

De tout temps la grandeur de l’Église a été de prendre le parti des pauvres. Même quand elle ne savait pas apporter la justice elle consolait par sa charité. Aujourd’hui encore des chrétiens sont présents dans la recherche d’une politique plus juste et dans les urgences caritatives. C’est là qu’on comprend le Christ. C’est là qu’on attend ses disciples. Mais les médias s’amusent à ne voir l’Église qu’à travers un pontife jouant au dernier monarque absolu, dans un cérémonial d’un autre âge, loin des problèmes de fins de mois de ses auditeurs.

Un cri comme celui-ci vers qui le faire entendre ? Une prière comme celle-ci vers quel saint l’adresser ? À quelle adresse poster ce courrier ? Y a-t-il une chance de changer quelque chose ? La lourdeur de l’administration vaticane – ce n’est pas un mammouth mais une énorme baleine échouée sur le sable – donne l’impression que rien ne peut la réveiller. Mes mots ne feront pas plus de bruit que l’aile d’un papillon sur le dos du cétacé. Mais, après tout, on sait qu’un vol de papillon dans l’hémisphère sud peut engendrer une tempête dans l’hémisphère nord. Et puis il y a beaucoup de papillons. Et puis dans le vent qu’ils font souffle aussi l’Esprit. Pourquoi ne seraient-ils pas capables de réveiller la baleine : une grande marée et un petit ouragan et la voilà remise à l’eau, légère et vivante !

Mgr Jacques Noyer, évêque émérite d’Amiens

Rendre l’évangile au monde

Voici le texte que Jean Marie KOHLER, chercheur en anthropologie culturelle et sociale a envoyé pour introduire son intervention sur le thème Rendre l’évangile au monde, au forum de Croyants en Liberté Moselle qu’il animera le 7 mai 2011 au Foyer Sainte Constance à Metz de 9 h à 17 h 

Se libérer de la religion 

C’est l’évangile qui est notre première passion. Et non pas l’Église en tant qu’institution sociopolitique qui, trop souvent, se soucie plus de sa survie que de sa vocation à témoigner de l’évangile. Mais cela ne doit pas faire oublier que c’est malgré tout par l’Église que le message évangélique nous a été transmis, et il n’existe peut-être pas d’autres canaux pour continuer à le transmettre. Humaine et divine Église, entre Vendredi saint et Pâques… Dans les faits, l’évangile a été accaparé par les institutions ecclésiastiques. Elles ont voulu s’approprier cette source d’eau vive pour en contrôler le cours, se mesurant au souffle et au feu de l’Esprit pour les diriger. Pourquoi et comment une telle chose a-t-elle été osée, et avec quelles conséquences ? Institution sociale, l’Église s’est très tôt alliée aux puissants pour servir sa propre gloire sous couvert de la gloire de Dieu, et ce péché originel la poursuit. Pour rendre aujourd’hui l’évangile au monde, il faut le libérer de la religion qui l’a travesti. L’avenir de Dieu parmi les hommes ne se joue pas dans les sanctuaires et moyennant des rites, ni dans les facultés de théologie. Il se joue dans la splendeur et la boue du monde, dans la jubilation et la détresse des cœurs qui aiment et haïssent, dans l’enfantement, la mort et le désir d’infini. Et ce parmi toutes les nations, toutes les cultures et toutes les religions. 

Pour une foi engagée  

Mille fois trahies, les béatitudes et les paraboles n’ont jamais été oubliées. Dans le passé, une multitude de croyants se sont voués corps et âme, comme François d’Assise, à aimer et à servir leurs semblables et leur Dieu. Les temps modernes ont vu se lever Albert Schweitzer, Martin Luther King, Helder Camara, Oscar Romero, mère Teresa, l’abbé Pierre, sœur Emmanuelle, et d’innombrables inconnus passionnés d’évangile dans l’Église et hors d’elle. D’abord s’impose la lutte pour la justice et la paix. La marchandisation mondialisée des productions et des relations humaines menace à brève échéance l’existence de l’homme et celle de l’humanité. La tyrannie des plaisirs instaurée au profit du marché et les terribles frustrations qui s’en suivent sont mortels. Face à la cupidité, au mensonge et à la violence qu’engendre l’ultralibéralisme, les bonnes volontés doivent partout se mobiliser d’urgence.  Toutes les religions prêchent la bienveillance et le respect de la création, mais le message d’amour apporté par Jésus peut apparaître comme le plus simple et le plus exigeant par sa radicalité et son universalité, comme le plus subversif. Dégagés du dogmatisme qui les rapetisse, les mystères de l’Incarnation et de la Trinité développés ultérieurement par le christianisme contribuent à leur manière à éclairer la voie qui mène l’homme vers Dieu. 

Dans un cadre renouvelé 

Si l’Église voyait avec les yeux du monde le spectacle qu’elle donne au lieu d’exiger que le monde la voie avec les yeux de la foi, elle en serait consternée. Prisonnière d’usages rituels et mondains obsolètes, péremptoire au plan doctrinal et dure dans ses jugements, ne conformant pas ses pratiques à ses enseignements, intéressée et liée par des alliances douteuses, gouvernée par une gérontocratie machiste attachée à un centralisme bureaucratique, etc.  La foi chrétienne n’est pas un savoir ou un legs cultuel qu’il suffirait de conserver et de reproduire, un « dépôt sacré » confié à un corps sacerdotal surplombant le monde. Son inculturation dans les réalités contemporaines est non seulement la première condition de son audibilité, mais la condition incontournable de sa crédibilité, de sa vérité aux yeux des hommes. La fidélité à la foi ne demeure qu’en se renouvelant. Loin de se réduire aux structures et aux représentations qu’elle a héritées de l’histoire, l’Église n’existe pour les hommes et pour Dieu que là où se vit l’évangile. Sans doute lui faudra-t-il, pour renaître, emprunter des formes et des appellations inédites. Ce n’est pas la continuité apostolique et le droit canon, ni même quelque orthodoxie que ce soit, qui la constitue. C’est l’amour et le service des hommes auquel le Christ s’est identifié.

Jean-Marie Kohler        www.recherche-plurielle.net 

L’Eglise catholique et le célibat des prêtres

L’obligation du célibat du prêtre ne s’est mise en place que progressivement. La plupart des apôtres étaient mariés. 39 papes étaient mariés et eurent des enfants. L’accent de l’argumentation en faveur du célibat du prêtre s’est déplacé au cours du temps. Un argument primordial au début mais qui n’est plus guère utilisé est celui de la « pureté rituelle ». Il s’agit d’un argument tiré de l’Ancien Testament. En effet les lévites de l’Ancien Testament s’abstenaient de rapports conjugaux pendant leur période de service au temple, à tour de rôle. Les prêtres de la Nouvelle Alliance doivent faire plus et progresser de la continence périodique à l’abstinence permanente, parce qu’ils célèbrent le culte tous les jours

Puis on dit que puisque Jésus ne s’est pas marié, son plus proche disciple, le prêtre, doit l’imiter sur ce point. Mais théologiquement on conçoit mal que Jésus ait pu se marier. Humainement la vie et la carrière missionnaire de Jésus ne ressemblent pas à celle du prêtre. De plus Jésus n’a jamais imposé le célibat à ses disciples.

On dit aussi que le célibat donne une meilleure disponibilité pour le royaume. Cet argument ne plaide pas unilatéralement en faveur du célibat. Tout dépend de l’attitude intérieure du sujet. Résumons les situations : un célibat bien assumé apporte sans doute le maximum de liberté ; un célibat mal accepté entrave cette liberté; un mariage heureux assure une disponibilité suffisante; un mariage malheureux n’est pas plus favorable qu’un célibat analogue. Cet appel s’adresse à tous les croyants, pas seulement aux prêtres. Cet amour du Christ se rencontre aussi bien parmi les laïcs et les ministres mariés des Églises orientales et réformées. Il n’a aucun rapport direct avec le célibat. Le détachement qu’il suggère concerne tous les biens terrestres, pas seulement la famille.

Le célibat serait-il signe eschatologique ? C’est l’argument le plus fort, ces derniers temps qui plaide en faveur de l’idéal de virginité. Il s’appuie sur Mat 22:23-33 ou ses parallèles Marc 12:18-27, Luc 20:27-38 : «A la résurrection on ne prend ni femme, ni mari; mais on est comme des anges dans le ciel» Est-ce à dire que les élus, comme les anges sont célibataires? La question est ridicule. Dans ce texte l’évangile n’enseigne rien sur les conditions concrètes de la vie au ciel, ni sur la nature des anges; il n’insinue rien sur leur sexe et ne suggère pas qu’ils sont asexués, et que l’idéal de l’homme, sur terre, serait de renoncer, comme eux, à l’activité sexuelle. Glisser vers de telles interprétations serait reprendre le dualisme grec de l’union de l’âme et du corps, où l’âme est impatiente de s’évader d’une chair pesante et rendue impure par le sexe. Ce serait, dans la même logique, déprécier non seulement le mariage, mais les divers éléments de la condition terrestre: la nourriture, le travail, l’aménagement du monde, puisque apparemment les anges ne font rien de tel. On voit le contresens, révélateur d’une phobie du sexe, qu’il y aurait à conclure de ce texte à un idéal célibataire. On retrouve ici certains excès du platonisme des Pères de l’Église, en particulier de saint Jérôme: la virginité rend l’homme semblable aux anges; dans le mariage, il se conduit à la façon des bêtes. On méconnaît la sexualité, considérée comme uniquement charnelle. Et l’on se complaît dans les phantasmes du prêtre autre Christ et homme angélique. Ange ne veut pas dire célibataire, mais homme accompli, ressuscité, « fils de Dieu ».

La position officielle de l’Eglise catholique est toujours encore l’obligation du célibat du prêtre. Le fait de mettre en cause cette position est souvent perçu comme une rébellion contre l’Eglise. Précisons qu’il ne s’agit pas d’un article de foi mais d’une règle de discipline interne de l’Eglise catholique latine. Il n’existe aucun argument théologique qui obligerait le prêtre à rester célibataire. De plus une règle peut être changée sans remettre en cause le fondement de l’Eglise. Ce qui fait problème, ce n’est pas le célibat en tant que tel mais le fait que ce soit la condition sine qua non de l’accession à la prêtrise.

Laissons nous interpeller dans ce domaine par la position des autres Eglises chrétiennes. Actuellement il n’est plus possible de réfléchir à un tel problème sans avoir une vision oecuménique. Il ne s’agit pas de perdre son identité ou de s’aligner sur telle ou telle Eglise, mais de s’interroger sur le pourquoi de telles différences. Pour une fois ce n’est pas l’Eglise catholique qui est la plus fidèle à la tradition apostolique en ce domaine. On peut aussi se demander comment le célibat est perçu dans d’autres cultures, notamment dans la culture africaine.

Malgré la pression faite en haut lieu pour que des responsables d’Eglise ne prennent pas officiellement position pour l’ordination d’hommes mariés, un certain nombre d’évêques se sont prononcés en leur faveur (notamment 81 s’étaient prononcés dans ce sens lors du synode sur les prêtres en 1971). La plupart des synodes diocésains en France se sont aussi prononcés dans leur majorité pour cette solution.

Après l’affaire Vogel (évêque de Bâle), il y eut 500000 signatures en Autriche pour demander entre autre la suppression de l’obligation du célibat pour les prêtres. Il y en eut encore plus en Allemagne. Ne sous-estimons pas un tel mouvement d’opinion publique dans l’Eglise. A travers son histoire, l’Eglise a maintes fois changé certaines de ses « positions définitives et irréformables ».

Cependant ne pensons pas naïvement que le mariage des prêtres règlerait le problème des vocations. La crise d’identité du prêtre est beaucoup plus profonde que cela. Mais dans l’autre sens, ne minimisons pas cette affaire. Depuis les années 1960, au moins 5000 prêtres ont quitté leur ministère en France, la plupart pour se marier. Dans le monde il y en a près de 100000. Ceux qui n’ont pas obtenu leur réduction à l’état laïc sont toujours prêtres mais n’ont plus le droit d’exercer leur ministère. Et l’on peut s’interroger sur la manière dont ces personnes sont traitées par l’Eglise-Institution. Il est possible de lire de nombreux témoignages à ce sujet, soit de la part de prêtres, soit de la part de femmes de prêtres. Il est tout à fait scandaleux que l’Eglise puisse fabriquer ses propres exclus. Cette attitude est aux antipodes de l’attitude de Jésus. Il est regrettable que lors de l’année dite « sacerdotale », ce type de réflexion ait été complètement occultée. On a présenté comme modèle de prêtre le curé d’Ars qui est un type de prêtre correspondant à la spiritualité d’une certaine époque mais où la majorité des prêtres actuels ne se retrouvent plus. D’autre part une réflexion valable sur le prêtre ne peut pas se faire sans développer en même temps une réflexion sur les laïcs. Cela ne rentre absolument pas dans les préoccupations de l’Eglise hiérarchique qui décidément a une vision très cléricale de l’Eglise.

 

Georges Heichelbech