L’Eglise catholique et le célibat des prêtres

L’obligation du célibat du prêtre ne s’est mise en place que progressivement. La plupart des apôtres étaient mariés. 39 papes étaient mariés et eurent des enfants. L’accent de l’argumentation en faveur du célibat du prêtre s’est déplacé au cours du temps. Un argument primordial au début mais qui n’est plus guère utilisé est celui de la « pureté rituelle ». Il s’agit d’un argument tiré de l’Ancien Testament. En effet les lévites de l’Ancien Testament s’abstenaient de rapports conjugaux pendant leur période de service au temple, à tour de rôle. Les prêtres de la Nouvelle Alliance doivent faire plus et progresser de la continence périodique à l’abstinence permanente, parce qu’ils célèbrent le culte tous les jours

Puis on dit que puisque Jésus ne s’est pas marié, son plus proche disciple, le prêtre, doit l’imiter sur ce point. Mais théologiquement on conçoit mal que Jésus ait pu se marier. Humainement la vie et la carrière missionnaire de Jésus ne ressemblent pas à celle du prêtre. De plus Jésus n’a jamais imposé le célibat à ses disciples.

On dit aussi que le célibat donne une meilleure disponibilité pour le royaume. Cet argument ne plaide pas unilatéralement en faveur du célibat. Tout dépend de l’attitude intérieure du sujet. Résumons les situations : un célibat bien assumé apporte sans doute le maximum de liberté ; un célibat mal accepté entrave cette liberté; un mariage heureux assure une disponibilité suffisante; un mariage malheureux n’est pas plus favorable qu’un célibat analogue. Cet appel s’adresse à tous les croyants, pas seulement aux prêtres. Cet amour du Christ se rencontre aussi bien parmi les laïcs et les ministres mariés des Églises orientales et réformées. Il n’a aucun rapport direct avec le célibat. Le détachement qu’il suggère concerne tous les biens terrestres, pas seulement la famille.

Le célibat serait-il signe eschatologique ? C’est l’argument le plus fort, ces derniers temps qui plaide en faveur de l’idéal de virginité. Il s’appuie sur Mat 22:23-33 ou ses parallèles Marc 12:18-27, Luc 20:27-38 : «A la résurrection on ne prend ni femme, ni mari; mais on est comme des anges dans le ciel» Est-ce à dire que les élus, comme les anges sont célibataires? La question est ridicule. Dans ce texte l’évangile n’enseigne rien sur les conditions concrètes de la vie au ciel, ni sur la nature des anges; il n’insinue rien sur leur sexe et ne suggère pas qu’ils sont asexués, et que l’idéal de l’homme, sur terre, serait de renoncer, comme eux, à l’activité sexuelle. Glisser vers de telles interprétations serait reprendre le dualisme grec de l’union de l’âme et du corps, où l’âme est impatiente de s’évader d’une chair pesante et rendue impure par le sexe. Ce serait, dans la même logique, déprécier non seulement le mariage, mais les divers éléments de la condition terrestre: la nourriture, le travail, l’aménagement du monde, puisque apparemment les anges ne font rien de tel. On voit le contresens, révélateur d’une phobie du sexe, qu’il y aurait à conclure de ce texte à un idéal célibataire. On retrouve ici certains excès du platonisme des Pères de l’Église, en particulier de saint Jérôme: la virginité rend l’homme semblable aux anges; dans le mariage, il se conduit à la façon des bêtes. On méconnaît la sexualité, considérée comme uniquement charnelle. Et l’on se complaît dans les phantasmes du prêtre autre Christ et homme angélique. Ange ne veut pas dire célibataire, mais homme accompli, ressuscité, « fils de Dieu ».

La position officielle de l’Eglise catholique est toujours encore l’obligation du célibat du prêtre. Le fait de mettre en cause cette position est souvent perçu comme une rébellion contre l’Eglise. Précisons qu’il ne s’agit pas d’un article de foi mais d’une règle de discipline interne de l’Eglise catholique latine. Il n’existe aucun argument théologique qui obligerait le prêtre à rester célibataire. De plus une règle peut être changée sans remettre en cause le fondement de l’Eglise. Ce qui fait problème, ce n’est pas le célibat en tant que tel mais le fait que ce soit la condition sine qua non de l’accession à la prêtrise.

Laissons nous interpeller dans ce domaine par la position des autres Eglises chrétiennes. Actuellement il n’est plus possible de réfléchir à un tel problème sans avoir une vision oecuménique. Il ne s’agit pas de perdre son identité ou de s’aligner sur telle ou telle Eglise, mais de s’interroger sur le pourquoi de telles différences. Pour une fois ce n’est pas l’Eglise catholique qui est la plus fidèle à la tradition apostolique en ce domaine. On peut aussi se demander comment le célibat est perçu dans d’autres cultures, notamment dans la culture africaine.

Malgré la pression faite en haut lieu pour que des responsables d’Eglise ne prennent pas officiellement position pour l’ordination d’hommes mariés, un certain nombre d’évêques se sont prononcés en leur faveur (notamment 81 s’étaient prononcés dans ce sens lors du synode sur les prêtres en 1971). La plupart des synodes diocésains en France se sont aussi prononcés dans leur majorité pour cette solution.

Après l’affaire Vogel (évêque de Bâle), il y eut 500000 signatures en Autriche pour demander entre autre la suppression de l’obligation du célibat pour les prêtres. Il y en eut encore plus en Allemagne. Ne sous-estimons pas un tel mouvement d’opinion publique dans l’Eglise. A travers son histoire, l’Eglise a maintes fois changé certaines de ses « positions définitives et irréformables ».

Cependant ne pensons pas naïvement que le mariage des prêtres règlerait le problème des vocations. La crise d’identité du prêtre est beaucoup plus profonde que cela. Mais dans l’autre sens, ne minimisons pas cette affaire. Depuis les années 1960, au moins 5000 prêtres ont quitté leur ministère en France, la plupart pour se marier. Dans le monde il y en a près de 100000. Ceux qui n’ont pas obtenu leur réduction à l’état laïc sont toujours prêtres mais n’ont plus le droit d’exercer leur ministère. Et l’on peut s’interroger sur la manière dont ces personnes sont traitées par l’Eglise-Institution. Il est possible de lire de nombreux témoignages à ce sujet, soit de la part de prêtres, soit de la part de femmes de prêtres. Il est tout à fait scandaleux que l’Eglise puisse fabriquer ses propres exclus. Cette attitude est aux antipodes de l’attitude de Jésus. Il est regrettable que lors de l’année dite « sacerdotale », ce type de réflexion ait été complètement occultée. On a présenté comme modèle de prêtre le curé d’Ars qui est un type de prêtre correspondant à la spiritualité d’une certaine époque mais où la majorité des prêtres actuels ne se retrouvent plus. D’autre part une réflexion valable sur le prêtre ne peut pas se faire sans développer en même temps une réflexion sur les laïcs. Cela ne rentre absolument pas dans les préoccupations de l’Eglise hiérarchique qui décidément a une vision très cléricale de l’Eglise.

 

Georges Heichelbech

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