Le cardinal Koch estime que la fronde dans l’Église est influencée par une mauvaise interprétation du concile

L’actuelle contestation des prêtres des pays germanophones contre Rome est très inspirée par la vision du théologien Hans Küng du concile Vatican II, a estimé jeudi 26 avril le cardinal Kurt Koch, président du Conseil pontifical pour l’unité des chrétiens.

L’Allemagne, l’Autriche et la Suisse ont « reçu le concile Vatican II de façon très particulière, en accueillant surtout l’interprétation qu’en a faite Hans Küng, qui a été relayée par beaucoup de médias de masse », analyse le cardinal suisse dans un entretien à l’hebdomadaire italien Tempi .

Dans le monde germanophone, selon lui, on a assisté « à la diffusion de l’idée de Küng selon laquelle le concile constituerait un acte de rupture avec la tradition de l’Église et non d’évolution de celle-ci ». Selon lui, « c’est sur cette interprétation que se basent les agitations actuelles », tandis que Benoît XVI, dans la lignée de son discours de décembre 2005 à la Curie, défend une interprétation « de la réforme, du renouveau dans la continuité ».

« De nombreux prêtres sont très inquiets »

Celui qui a en charge l’œcuménisme au Vatican a jugé légitime et « nécessaire » que Benoît XVI ait critiqué, le jour du Jeudi saint, « l’appel à la désobéissance » lancé en juin 2011 par des prêtres autrichiens dans le cadre de la Pfarrer Initiative . « Naturellement, le pape a réagi à sa façon, claire mais très gentille. Il l’a fait dans le contexte d’une messe (…) où les prêtres renouvellent leurs promesses sacerdotales, dont celle de l’obéissance », a souligné le cardinal.

Les signataires de l’appel déploraient en particulier l’impossibilité pour les personnes divorcées et remariées d’accéder au sacrement de la communion. Ils prônent également le mariage des prêtres, un engagement plus large des laïcs dans la liturgie, ou encore l’ordination sacerdotale des femmes.

Le cardinal se dit conscient que « de nombreux prêtres sont très inquiets à cause des problèmes de la pastorale dans la société contemporaine », ajoutant qu’il comprend ces inquiétudes. Il estime néanmoins que tous les signataires de la Pfarrer Initiative ne sont pas d’accord avec toutes les conséquences qu’implique l’appel des prêtres autrichiens.

Les lefebvristes ne peuvent pas refuser « 65 % du concile Vatican II »

Jusqu’à présent, le texte a été signé par quelque 400 prêtres et diacres autrichiens, soit un dixième du clergé, et rencontre un certain succès en Allemagne, en Suisse et jusqu’en Irlande. En France, cet appel a été relayé par quelques prêtres du diocèse de Rouen.

Dans un entretien le même jour à l’agence de presse catholique autrichienne Kathpress, le cardinal Koch est également revenu sur l’offre de réconciliation de Benoît XVI envers la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X (FSSPX).

Selon lui, les deux réponses des lefebvristes de novembre 2011 et de mars 2012 au Préambule doctrinal proposé par Rome, et dont le cardinal Koch a eu connaissance, étaient insuffisantes. La teneur de la réponse du 17 avril ne lui est pas encore connue, mais il est clair qu’elle ne suffira pas « s’ils refusent 65 % du concile Vatican II »

Pour le président du Conseil pontifical pour l’unité des chrétiens, le concile, auquel le pape actuel a participé en tant qu’expert, marque une césure dans le domaine de l’œcuménisme. Mais après 50 ans, il est devenu clair que « l’unité prendra plus de temps qu’on le pensait à l’époque ».

Source : La Croix du 27 avril 2012

Cet article montre que Rome est à mille lieux de réaliser ce qui se passe concrètement à la base. C’est une mauvaise interprétation de Vatican II (est mauvaise par définition toute autre idée sur Vatican II que celle de Benoît XVI) qui est à la base de la fronde dans l’Eglise. Mais les idées d’avant Vatican II sur l’Eglise, qu’il y en a qui enseignent et que les autres doivent se laisser enseigner, qu’il y en a qui commandent et que les autres doivent obéir, que les uns ont la vérité infuse et que les autres sans le secours des uns sont dans l’erreur, oui Vatican II les a balayées. Mais pour le comprendre il faut réaliser que Vatican II est en rupture avec ce qui s’est passé avant et pas en continuité. Ce n’est pas en fricottant avec les intégristes qu’on arrivera à comprendre cela

L’Évangile au rythme des hommes La Parole demeure, les Églises passent

Olivier Abel, Philosophe, professeur à la Faculté de Théologie Protestante de Paris

Interview accordée à la revue « Les Réseaux des Parvis » à paraître dans le n° 53 (1)

Que pensez-vous de la subversion des formes traditionnelles du protestantisme par les Églises évangéliques d’obédience pentecôtiste qui progressent partout ?

Ces Églises renvoient aux difficultés résultant d’une précarisation qui touche l’ensemble de la planète. L’ordre du monde est bouleversé par une profonde mutation des structures et des idéologies économiques, politiques et culturelles. Toutes les institutions en sont affectées, et notamment les grandes Églises trop habituées à s’imaginer inaltérables. Livrés à ces changements, les individus se trouvent d’autant plus déstabilisés qu’ils sont socialement plus fragiles. La religion apparaît alors comme une planche de salut aux personnes et aux catégories sociales les plus malmenées, comme un refuge capable de les sauvegarder. Réduite à sa forme la plus élémentaire, décrochée du passé et véhiculée par les émotions du vécu immédiat, cette offre religieuse répond aux manques qui taraudent les pauvres, leur offrant consolations et solidarité dans un cadre communautaire très structurant. J’ai observé cela au Brésil, au Congo et en Corée, mais la même chose se produit chez nous dans les colonies ethno-religieuses de nos banlieues et dans les milieux défavorisés en général. Je dirai qu’il s’agit d’une religion de naufragés, de rescapés, d’une religion de survie qui mérite d’être respectée à ce titre en dépit de ses carences et de ses fréquentes outrances.

Ce courant religieux a-t-il vocation à se substituer aux Églises traditionnelles sans autre forme de procès ? Ce serait une erreur et une faute de lui accorder le monopole de l’évangile et de minimiser ce que le protestantisme historique – comme le catholicisme de son côté –  peut et doit encore apporter au christianisme. Déterminées par les urgences qui assaillent leurs fidèles, ces nouvelles Églises n’ont pas en elles-mêmes les ressources nécessaires pour assumer leur inscription dans le monde, ni pour atteindre une stabilité propice à une transmission durable du message évangélique. Fragiles embarcations surchargées de laissés-pour-compte, de boat people pourrait-on dire, elles ont besoin d’être aidées pour créer des lieux habitables dans la durée. Que leurs tendances charismatiques se doublent souvent de fondamentalisme met en évidence la précarité contre laquelle elles se battent sans avoir les moyens d’y remédier. Sans racines face aux fluctuations du monde, elles arriment leurs néophytes et born again à des doctrines aussi insubmersibles que des bouées de sauvetage. Les grandes Églises ont là un rôle fondamental à assurer en manifestant et en partageant ce qui leur a permis de traverser les siècles. À savoir : la foi en une vérité tissée d’histoire et cependant toujours à chercher, sous la houlette d’institutions qui organisent cette recherche en se référant au chemin déjà parcouru et en autorisant les débats contradictoires que suscitent les situations nouvelles.

Mais où en sont les grandes Églises dans notre monde sécularisé et pluraliste, entre la chrétienté qui a disparu et un avenir émancipé de la religion ?

Je me reporterai ici au penseur protestant Ernst Troeltsch mort en 1923, philosophe, théologien et sociologue allemand proche de Max Weber, qui a longuement analysé l’évolution des religions dans la modernité. Il distingue trois modalités de l’Église : la secte qui sépare, l’organisation traditionnelle qui unit et donne son visage coutumier à la religion, et la forme mystique qui advient par delà les appartenances institutionnalisées. Ces trois modalités peuvent se succéder dans le parcours des sociétés comme dans celui des individus, mais il arrive qu’elles cohabitent plus ou moins dans les flux et reflux de la vie personnelle ou collective – non sans paradoxe parfois. En général, les commencements se caractérisent par un mouvement de rupture, de séparation et de forte revendication identitaire. Vient ensuite le moment de pérenniser l’organisation religieuse en tant qu’institution capable de partager ses valeurs et de les transmettre au monde. Et, pour finir, survient une expérience plus vaste qui est d’ordre mystique et se passe des institutions, débouchant sur l’effacement de toutes les cloisons et séparations. La protestation initiale et le développement ultérieur se dissolvent dans la communion. Il y a des étoiles naissantes, des étoiles au zénith de leur rayonnement, des étoiles qui meurent et se répandent en poussière dans le cosmos, tel est aussi le destin des religions.

Personnellement, j’ai tendance à penser que la religion va mourir en Occident. Mais loin d’être pessimiste et de m’attrister, cette perspective m’inspire de la gratitude et décuple mon espérance. L’effacement des Églises sous leurs formes actuelles peut signifier qu’elles sont arrivées au terme de leur mission, que l’on peut et que l’on doit se réjouir de ce qu’elles ont globalement réussi à apporter au monde, et qu’il est heureux de les voir s’effacer pour laisser venir au jour de nouvelles formes de vie spirituelle à leur suite. Rien n’est jamais perdu dans l’économie mystérieuse de la création et de l’histoire : même les échecs peuvent constituer de prodigieux ensemencements. Si les vagues des océans pouvaient nous enseigner l’humble simplicité qui préside à leur succession, bien des choses nous paraîtraient moins tragiques…. ! Mais, me direz-vous, qu’est-ce que cela signifie concrètement ? Nous connaissons tous des paroisses qui se détruisent en se crispant obstinément sur les formes héritées de la religion, qui étouffent la vie en voulant la conserver sous l’autorité des anciens qui démobilisent les jeunes en usurpant leur place. La subversion évangélique nous invite à délivrer ces paroisses et nos Églises de leurs obsessions de survie, à libérer les consciences et les structures pour les ouvrir à l’Esprit qui n’est jamais à court de propositions novatrices.

Si la religion est en train de mourir sous ses formes anciennes, quelles sont les conversions qu’il apparaît souhaitable de mettre en œuvre dans les Églises pour préparer l’avenir ?

Au risque de paraître paradoxal, je dirai d’abord que le protestantisme devrait commencer par revenir à la radicalité antireligieuse des intuitions fondatrices de la Réforme. Rejetant l’infantilisation qu’affectionne la religion pour se doter de fidèles soumis, les réformateurs du XVIème siècle ont résolument voulu éduquer le peuple, lui apprendre à lire la Bible en vue de lui donner accès à l’autonomie de la conscience. Alors que notre rapport à la mort hypothèque notre vie et pervertit notre piété sous l’influence persistante de craintes païennes, Jean Calvin ne s’est pas préoccupé de son salut et a demandé que son cadavre soit jeté à la fosse commune, cousu dans un drap dépourvu de toute marque distinctive. À la grâce de Dieu… En pratique, le protestantisme ultérieur a couramment substitué la primauté du péché à la suprématie de la grâce, et ravalé la foi au niveau des œuvres en cultivant le souci individuel et obsessionnel de la condamnation et du salut. Que de promesses non tenues, que de richesses enfouies sous les sédiments de l’histoire ! Mais il est clair que l’avenir ne se lit pas dans le passé, et qu’il nous faut aujourd’hui répondre à des questions qui ne se sont posées ni à Jésus, ni à François d’Assise, ni aux protagonistes des réformes du XVIème siècle.

J’évoquerai ici la question cruciale de la vérité que l’herméneutique moderne renouvelle avec bonheur. Après que la théologie eut longtemps revendiqué le privilège exclusif d’énoncer le vrai, la compétition survenue entre la science et la religion à l’époque de la Renaissance a eu des conséquences désastreuses qu’il faut surmonter sans délai pour entrevoir la mystérieuse richesse des textes. Là comme ailleurs, la voie de l’évangile est celle du renoncement aux assurances et de l’humble recherche. Quand mes étudiants relèvent les écarts qui séparent et opposent parfois les textes bibliques, quand ils découvrent que la compréhension du monde et la vision de Dieu varient considérablement selon les écrits proclamés normatifs, ils réalisent que la vérité ne se dévoile que par ses facettes, débordant tous les cadres y compris le canon des Écritures. Ainsi leur est-il donné de pouvoir s’émerveiller d’une vérité plus vaste que tous les savoirs – englobant le passé, le présent et anticipant sur l’avenir -, et d’accéder ainsi à un rapport à la vérité ouvrant sur l’espérance. Cet horizon est aux antipodes des fondamentalismes qui, toujours et partout, guettent la religion et tentent les Églises. Il nous faut reconnaître notre condition plurielle et en admettre jusqu’au bout les conséquences – la dérangeante et féconde altérité.

Autre dimension majeure de la religion, les rites soulèvent des problèmes plus difficiles à résoudre que ceux, d’abord théoriques, concernant la vérité. Ils constituent des morceaux de langage qui relèvent de l’enfance enfouie au plus profond de chacun – habitudes fortement empreintes d’affectivité, souvenirs aussi insaisissables que prégnants qui rappellent des ambiances, des gestuelles, des musiques, des odeurs, etc. L’individu qui se prétend entièrement émancipé à cet égard dénie et refoule une part essentielle de lui-même. Inversement, celui qui se complaît dans les souvenirs de son enfance au point de s’y engluer se condamne à ne jamais pouvoir accéder à sa liberté. Mais pourquoi ne serait-il pas possible d’inventer des voies respectant les exigences modernes de l’adulte responsable sans pour autant négliger la part d’enfance et ignorer ce qui a marqué ses origines ? La complexité de ces questions invite à la modestie et au pragmatisme : ne compte finalement que ce qui permet à chacun de vivre sa foi en esprit et en vérité sans omettre de la partager. Ce constat me porte à préconiser un espacement des cultes classiques au profit d’autres formes de rencontres à inventer, et la reconnaissance officielle de la double appartenance confessionnelle des fidèles protestants et catholiques de manière à favoriser le dépassement des clivages actuels.

N’est-ce pas en essayant de changer le monde au nom de l’évangile que les chrétiens changeront leurs Églises et feront advenir le christianisme de demain ?

Oui, c’est notre rapport au monde que nous devons convertir en priorité. Et là s’impose d’emblée un constat radical et universel : nous ne sommes que des humains et non des dieux, vivant au sein d’un monde fragile au rythme d’une histoire qui emporte tout pour sans cesse créer du neuf dans le sillage de l’ancien. Il nous faut accepter notre vulnérabilité et celle de la nature, reconnaître le caractère fugace de nos existences et de nos institutions. Mais le constat que toute vie est éphémère la rend particulièrement précieuse et interpelle notre responsabilité : nous devons nous protéger les uns les autres, protéger notre patrimoine commun et respecter les règles qui nous permettent de vivre ensemble. Face à la marchandisation qui détruit la nature et exacerbe la violence entre les hommes, il faut d’urgence transformer nos modes de consommation. Ce n’est pas seulement pour des raisons économiques que nous devons changer nos habitudes alimentaires ou nos comportements en matière de déplacement, c’est pour devenir plus humains et pour humaniser toute la création et sauvegarder la vie.

En dénonçant les faux-dieux et l’idolâtrie, l’évangile prescrit trois grandes ruptures qui sont susceptibles de désaliéner l’homme contemporain : rompre avec les rêves du pouvoir, avec la compulsion à la propriété, et avec ce que j’appelle la complaisance culturelle. Quand Jésus affirme « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu », il reconnaît au champ politique une autonomie légitime, mais surtout il brise toutes les visions théocratiques. Aucun pouvoir humain ne peut s’identifier au pouvoir divin, aucune instance politique ne peut se substituer à Dieu pour exercer la violence en son nom et se faire adorer. Mais le nouveau veau d’or qui asservit aujourd’hui l’humanité est érigé par la religion du marché. Contre lui, il ne suffit pas de se déclarer anticapitaliste, il faut se battre pour placer effectivement l’homme au centre des préoccupations sociales et politiques, et en payer le prix. « Plus un sdf à la rue ! » : pourquoi différer, en invoquant son coût, un engagement aussi impératif qui pourrait être d’une portée exemplaire et impulser d’autres initiatives ? En troisième lieu, je dirai qu’il faut rompre avec le conformisme mortifère qui étouffe notre société. Avec les artistes et les poètes qui percent dans les murs de la bienséance des brèches ouvrant sur l’inédit et l’avenir, il faut retrouver la parole et la rendre aux gens, oser le scandale en se risquant sur des chemins inédits. Comme l’écrivait Emerson : « Je fuis père et mère, femme et frère lorsque mon génie m’appelle. J’écrirais volontiers sur les linteaux de la porte d’entrée: « Caprice ». J’espère du moins que c’est quelque chose de mieux qu’un caprice, mais nous ne pouvons pas passer la journée en explications ».

Au fond, et sans du tout nier le tragique de la vie, l’immense souffrance des hommes et la cruauté de leurs échecs, je crois qu’il est sain de percevoir le monde comme un théâtre où le comique de nos prétentions et quiproquos nous invite à l’humilité. Que savons-nous et que pouvons-nous savoir de l’absolu et de l’éternel ? Que pouvons-nous imposer à autrui au nom de Dieu ? Nous passons notre temps à parler de choses dont nous ignorons l’essentiel, à usurper des pouvoirs qui ne nous appartiennent pas, à nous contredire dans notre propre existence et entre nous. Est-ce à dire que tout doit être relativisé ? Assurément non, et c’est même le contraire que nous enseigne cette évocation. C’est parce que nous avons vocation à cheminer dans la vérité qu’il nous faut la respecter absolument et renoncer à la travestir dans des formes chosifiées pour en user à nos propres fins. C’est parce que les institutions constituent l’indispensable cadre de notre existence personnelle et collective qu’il nous faut en prendre soin sans nier leur fragilité et leur nature passagère, ni en faire des instruments de domination. La Parole, parmi les humains, a pris dans des formes de vie différentes, et s’il y a un temps pour protester, résister, dissider parfois, aménager des camps de toiles dans la nuit, il y a aussi un temps pour construire des espaces qui soient des théâtres accueillants pour nos communautés, apte à donner un cadre à la suite des réinterprétations de l’évangile, et enfin il y a un temps pour s’effacer afin que le monde puisse continuer à renaître.

Propos recueillis par Jean-Marie Kohler, rédacteur en chef de la revue Parvis

(1) Cette interview conclut un dossier intitulé « La subversion évangélique ».

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Pour l’année de la foi, Rome annonce la couleur

La congrégation pour la doctrine de la foi a donné des indications précises sur « l’authentique façon de célébrer l’année de la foi ». Pourquoi année de la foi ? Parce que tel était le bon plaisir de Benoît XVI qu’il en soit ainsi

On précise « l’authentique façon de célébrer les 50 ans du Concile Vatican II »

« Favoriser la réception correcte du Concile en continuité avec toute la Tradition, sous la direction sûre du Magistère. » « Depuis le début de son pontificat, le Pape Benoît XVI s’est engagé fermement en faveur d’une juste compréhension du Concile, repoussant comme erronée la dénommée « herméneutique de la discontinuité et de la rupture » et promouvant celle qu’il a lui-même appelée « l’ »herméneutique de la réforme », du renouveau dans la continuité de l’unique sujet-Église, que le Seigneur nous a donné ; c’est un sujet qui grandit dans le temps et qui se développe, restant cependant toujours le même, l’unique sujet du Peuple de Dieu en marche »

Que ceux qui ne le savaient pas encore, l’herméneutique de la discontinuité et de la rupture est erronée et puisque le pape le dit, cela ne peut pas être autrement. Cela aidera peut-être à faire avancer les négociations (secrètes) avec les intégristes.

Que faire pour bien célébrer cette année de la foi ?

Favoriser la lecture de la Bible ? Mais non, ceci n’est pas à l’ordre du jour. Il faut lire le Catéchisme de l’Eglise catholique qui a été rédigé sous la direction du cardinal Ratzinger, ainsi que son acolyte le Youcat. Ce catéchisme « exprime véritablement ce qu’on peut appeler la  » symphonie » de la foi ». Et si d’autres catéchismes ne sont pas conformes à celui là, il faudra les changer.

« Au cours de l’Année de la foi, il conviendra d’encourager les pèlerinages des fidèles auprès du Siège de Pierre, pour y professer la foi en Dieu Père, Fils et Esprit Saint, en s’unissant avec celui qui, aujourd’hui, est appelé à confirmer ses frères dans la foi »

« Au cours de cette Année, il sera utile d’inviter les fidèles à s’adresser avec une particulière dévotion à Marie, figure de l’Église, qui « rassemble et reflète en elle-même d’une certaine façon les requêtes suprêmes de la foi ». Il faut donc encourager toute initiative aidant les fidèles à reconnaître le rôle particulier de Marie dans le mystère du salut, à l’aimer filialement et à en suivre la foi et les vertus. À cet effet, il sera très opportun d’organiser des pèlerinages, des célébrations et des rencontres auprès des sanctuaires les plus importants.»

Il faut aussi développer le culte de la personnalité du pape et lui montrer son obéissance et sa soumission « Cette Année sera une occasion propice pour un accueil plus attentif des homélies, des catéchèses, des discours et des autres interventions du Saint-Père. Les Pasteurs, les personnes consacrées et les fidèles laïcs seront invités à un engagement renouvelé pour une adhésion effective et cordiale à l’enseignement du Successeur de Pierre. »

« Il sera utile de préparer des instruments de travail de caractère apologétique Chaque fidèle pourra ainsi mieux répondre aux questions qui se posent dans les différents milieux culturels, en rapport au défi des sectes, aux problèmes liés à la sécularisation et au relativisme, aux « interrogations qui proviennent d’une mentalité changée qui, particulièrement aujourd’hui, réduit le domaine des certitudes rationnelles à celui des conquêtes scientifiques et technologiques »

En avant la croisade. Pour le moment on n’a pas encore promis d’indulgences, mais cela ne saurait tarder.

Voici mon analyse de la situation, mais comme le dit une célèbre émission, « vous n’êtes pas obligés de me croire ». Vous pouvez aussi lire l’original de ce texte

Le printemps arabe est un défi pour la foi chrétienne

Voici un extrait d’un article écrit par Marius Morin, citoyen du Québec. Formation en Pédagogie, Philosophie, Théologie, Counseling. Le Counseling se définit comme une relation interpersonnelle d’écoute active, d’aide et de soutien Expérience de travail en Colombie et au Pérou. Retraité toujours interpelé par l’actualité. Cet article est publié sur le site Culture et Foi

Le constat que nous pouvons faire, devant cette prise (crise) de conscience des peuples, est qu’aucune religion n’échappera à ce phénomène. On a appelé cela le phénomène de la sécularisation, tantôt de la laïcisation, ou encore de la modernité. De plus en plus, on sort les religions de l’espace public  pour les reléguer à l’espace privé. Depuis la deuxième guerre mondiale et l’avènement des Nations Unies, l’espace public est celui de la raison commune, des chartes de droits et libertés qui régissent les lois civiles votées par l’obtention d’une majorité de votes, qu’on appelle la volonté démocratique d’un peuple.

Mais quelle leçon pouvons-nous retenir pour le christianisme de demain? Il y aura un effondrement de la foi chrétienne si celle-ci se limite à un système étouffant de pratiques, de croyances et de rites religieux. Les chrétiens et chrétiennes croyants et convaincus devront, et souvent à regret, se libérer des autorités religieuses pour conquérir une liberté de pensée et de parole. L’Église catholique, comme institution de pouvoir,  deviendra minoritaire dans un monde de plus en plus sécularisé en Amérique Latine, en Afrique et en Asie.

Cependant quand je parle de l’Église, je ne parle pas du christianisme. Le christianisme s’est répandu en dehors de l’Église catholique. On a qu’à penser aux valeurs de la révolution française de « liberté, égalité et fraternité ». Ce sont des valeurs chrétiennes. Elles sont issues du christianisme, c’est-à-dire de l’Évangile. Ces valeurs ont mûri en dehors de l’Église où les autorités religieuses ne leur avaient pas donné droit de cité. La liberté, l’égalité, la fraternité, la solidarité, la compassion, appelons-les comme on veut, sont des idées chrétiennes, des valeurs évangéliques. En réalité, c’est un christianisme hors religion qui survivra. Ce sont ces valeurs républicaines portées par le christianisme qui structureront  notre vivre ensemble dans les années à venir.

La nouvelle évangélisation ne doit jamais devenir une reconquête de l’espace public, mais la promotion de ces valeurs démocratiques (d’inspiration chrétienne) dans le monde sécularisé. Ce sont des fruits que le christianisme a porté hors de l’Église et qu’elle n’a pas su s’approprier en temps et lieu. Malheureusement, il y a encore trop de droits humains bafoués dans l’Église catholique. Par exemple, les chrétiens devraient pouvoir participer aux nominations des principaux ministres évêques et prêtres; avoir accès aux ministères ecclésiaux qu’ils soient hommes mariés ou femmes; être respectés en tout temps dans leur liberté de conscience prévalant sur toutes directives ecclésiales; que ceux et celles, qui vivent de manière responsable l’amour et la fidélité  en couples de même sexe ou divorcés-remariés, ne soient plus exclus de la communion eucharistique, etc.?

Le défi de l’heure pour le christianisme est la déshumanisation qui règne un peu partout dans les sociétés du monde. Les oligarchies politiques, militaires et financières de droite luttent de toutes leurs forces contre les États socialistes qui prônent plus d’équité, plus de justice, plus d’emplois, plus de fraternité, plus d’engagement envers les pauvres, les malades, les handicapés, les aînés et les travailleurs. Comme chrétiens et chrétiennes mettons tous nos efforts non pas à sauver l’institution de l’Église, mais à faire vivre ces valeurs évangéliques dans un monde sécularisé où elles sont continuellement menacées. Voilà le défi qui nous attend.

Un monde nouveau : l’Evangile

« Dans un monde en mutation, le rapport à la religion est en mutation et les religions elles-mêmes sont en mutation. Alors, que deviendra le christianisme ? Personne ne peut le dire, même si des constats, des réflexions et des propositions sont avancées. Par contre, la problématique engendrée par la marchandisation généralisée s’énonce clairement : « aujourd’hui, la cause est sans équivoque, sublime : il s’agit bel et bien de sauver l’humanité » (Edgar Morin). Or, pour la question de l’humanité nous pouvons encore et toujours nous référer à l’Evangile, pour autant que nous sachions renouveler notre mode de lecture.

Le christianisme, dans sa forme sociale, historique et instituée n’est pas l’Evangile : comme entre la lettre et l’Esprit, on constate un écart, et parfois même une incompatibilité entre les deux ! Il est fréquent par exemple d’entendre déplorer la rupture entre l’Eglise « officielle » qui s’arroge le pouvoir et la vérité tout en refusant la modernité, et le peuple des croyants, qui se reconnaissent amis du Jésus de l’Evangile tout en vivant dans leur temps. Les bons chrétiens du Petit Reste risquent de former le troupeau fidèle d’une Eglise-musée, celle de l’intégrisme religieux, de la restauration romaine ou même simplement celle d’un christianisme anachronique accroché à ses dogmes, rites, préceptes moraux et expressions de langage complètement dépassés pour nos contemporains. Mais heureusement aussi, de fait, l’Eglise en diaspora est déjà là ! Chez les protestants depuis longtemps déjà, rejoints par les catholiques critiques, les membres du Parvis, et de plus en plus de chrétiens déçus par des paroisses figées ou rétrogrades, on peut dire comme José Maria Castillo : le christianisme est en train de sortir de l’Eglise. Parmi les théologiens aussi, des voix s’élèvent et réclament l’ouverture de nouveaux chantiers. En février dernier, 143 théologiens allemands, dans leur manifeste : « Eglise 2011 : un renouveau indispensable », réclament des réformes de fond, et entre autres un meilleur rapport entre Eglise et Société. Le même mois, au Forum Social de Dakar, d’autres théologiens suggèrent que les religions soient reconsidérées à partir d’une nouvelle épistémologie théologique en fonction de l’actuelle pluralité religieuse et la crise écologique planétaire. Mentionnons la richesse des écrits de la théologie de la libération, qui est toujours aux côtés des opprimés, toujours anti-raciste, féministe, et sensible à l’environnement. Dans une direction proche, l’éco-spiritualité naissante dénonce la vision d’un Dieu extérieur et une théologie anthropo-centrée qui favorisent la coupure dominante de l’homme avec la nature dont il fait pourtant partie. Les chrétiens d’Orient peuvent nous envisager l’in-habitation réciproque de Dieu et de la Création et nous apprendre notre responsabilité envers la création, puisque nous devons aussi lui faire exprimer sa divinité. En un mot, il s’agit aussi de l’aimer !

Avec la perspective de crises enchevêtrées sur les plans économiques, écologiques, et sociétaux, en contexte postmoderne et multi-religieux, nous ne savons donc pas ce que va devenir l’Eglise. Nous savons que nous ne changerons pas l’institution nous-mêmes. Mais l’intérêt et le foisonnement de ces recherches évoquées au sein même du monde chrétien nous indiquent un changement orienté vers l’avenir, et il est bien nécessaire !

A notre époque mouvement et angoissée, quelles valeurs et quels modèles sont proposés à nos contemporains pour atteindre le bonheur ? L’argent, le pouvoir, la consommation, le loisir, l’individualisme, le mensonge, la violence. Face au vide laissé par l’abandon d’une pratique chrétienne décalées, et face à la religion du marché et du spectacle, comment nourrir l’être profond et vivre ensemble ? Face aux défis qui nous attendent pour « sauver la planète et l’humanité » où puiser l’énergie pour nos résistances et nos espérances ?

Pour approcher les besoins spirituels de nos contemporains, il nous faut distinguer au moins deux générations. Les seniors hérités de Vatican II et Mai 68 sensibilisés aux libertés, à la politique, l’exigence démocratique, à la justice, l’égalité homme-femme. Et, d’autre part, les adultes plus jeunes, première génération libérée des obligations religieuses, sensibles à l’épanouissement personnel et à la sécurité affective, davantage rôdée à l’inter-culturalité et marquée par l’urgence écologique. Si certains anciens ont encore quelque attente vis à vis de l’Eglise-institution, pour les plus jeunes, il s’agit d’un passé révolu. Par contre, ils sont « en recherche » ; recherche de repères et croissance humaine et spirituelle et recherche de sens.

A tout âge, ces adultes plébiscitent le partage et l’amitié ; ils sont tous, au fond, mobilisés par les questions d’injustice et d’incertitude planétaire, et tous ont besoin d’une dimension intérieure et d’un soutien fédératif pour investir la responsabilité et l’engagement de solidarité qui leur incombe, comme à tout citoyen du monde. Progressivement, nous avons conscience en effet : il nous faudra revendiquer et construire une civilisation de l’austérité partagée pour reprendre l’expression de Juan José Tamayo, en développant une spiritualité de la finitude et de la modération selon les termes de Dominique Bourg.

Serions-nous vraiment étonnés de relever la concordance entre les attentes de nos contemporains comme nous venons de les brosser rapidement et les conclusions auxquelles aboutissent aujourd’hui des penseurs à l’écoute du monde, tels qu’Edgar Morin, Alain Touraine, Hervé Kempf, ou encore Dominique Bourg ou même Jacques Gaillot ? Selon eux, les deux principaux défis à relever pour un monde nouveau : la défense des droits humains pour tous, et l’écologie. Et les ressources principales pour y arriver : la vertu, la conquête d’un nouvel art de vivre, et la communauté.

Alors après avoir admis que nous changeons notre manière de croire – en poursuivant un itinéraire personnel d’évolution – et de nous réunir en ékklésia (mot grec, signifiant assemblée et traduit par église), et après avoir nommé nos besoins spirituels face aux enjeux que vit l’humanité aujourd’hui, posons la question directement : l’Evangile est-il toujours d’actualité ? Et en particulier pour les plus jeunes, et pour celles qui n’attendent plus de l’Eglise mais cherchent des textes de spiritualité, des témoins, des éveilleurs.

L’Evangile – plus exactement les quatre évangiles – est un texte inspiré, délivré pour tous, à égalité, et qui appartient à tous. C’est un texte poétique, issu du terreau humain et de la vie de la nature. Il relate la vie et les paroles de Jésus, Homme totalement accompli, qu’il adresse à ses ami-es. qui le suivent. Dans cet Evangile Jésus touche le fond de l’être humain qui est toujours le même à travers le temps et l’espace ; il dit la vérité de l’homme et cela ne se démode pas.

Oui, l’Evangile met encore aujourd’hui l’homme au debout au centre, il le libère et le guérit. S’adressant aux plus petits, exclus, pauvres ou malades, il renverse le « beaucoup avoir » ou le « bien être ». Il renverse aussi la possession en gratuité, et propose le don, le partage et la sobriété (un exemple ? la multiplication des pains : quel contrepoids à la société de consommation, aux faux besoins matériels et à l’individualisme !). L’Evangile est un exemple de non violence et de confiance : il montre une autre façon de réagir en altérité et respect de la différence. Contrecarrant l’idée de réussite et de pouvoir ostentatoire, l’Evangile propose à la place l’humilité, le service aux autres, hors des rituels, des règles morales ou des dogmes (pensons au Samaritain). Le message central de l’Evangile, c’est l’Amour Agapè : amour fraternel réciproque (aimez-vous les uns les autres) qui exige une réelle autonomie et appelle à la communauté. La visée essentielle de l’Evangile peut se résumer ainsi : humanisation de l’Humanité et divinisation de l’humain.

Oui, osons affirmer la puissance de l’Evangile pour le monde nouveau que nous espérons ! Son message d’amour universel apporte ce qu’il faut pour ressourcer notre force intérieure en cette ère de perturbations et de mutations : amour envers soi, envers les autres, envers le cosmos ; amour simple, réciprocité, amour de partage, de soin, de solidarité.

« Le journal d’une main et l’Evangile de l’autre, cela nous suffit », serions-nous tentés de dire, car l’important, pour nous, c’est de mettre l’Evangile comme une boussole au coeur de nos vies et de faire confiance à l’Esprit. Si chacun pratique cette double lecture quotidienne, c’est en effet une bonne fondation. Mais ce serait oublier la dimension essentielle d’une lecture à plusieurs en un même lieu. Modifions alors la formule : « Le journal d’une main, l’Evangile de l’autre, et la vie partagée avec celle des autres ». Nombreux groupes de Parvis en font l’expérience : lire l’Evangile à plusieurs, en l’articulant au vécu de chacun, le renouvelle, le rend vivant. On peut s’émerveiller et s’enrichir d’entendre les résonnances multiples d’une seule page comme le kaléidoscope jouant avec le reflet particulier de chaque vie, de chaque interprétation. Car nous avons le droit de lire et d’interpréter librement l’Evangile ! Nous sommes toutes et tous adultes, capables de le lire en le respectant et en l’actualisant. Saisissons ensemble l’Evangile : nous y apprendrons la justice et le respect de tous les humains : nous y apprendrons les attitudes de douceur et de tendresse les uns envers les autres et envers la nature. Partageons nos vies à la lumière de l’Evangile dans des groupes fraternels : nous expérimentons le soutien d’une petite communauté de sens et nous pratiquerons une lecture incarnée de ces textes tout en recevant leur souffle régénérant. Car l’Evangile est dans la vie – et non pas enfermé, ni dans une théorie ni dans une église ! L’Evangile est Vie, il nous dynamise aujourd’hui et pour demain encore. »

Cécile Entremont, Les Réseaux des Parvis, éditorial du numéro spécial consacré au thème « Un monde nouveau l’Evangile », juin 2011. Cécile Entremont est docteur en théologie et co-présidente des Réseaux du Parvis

La sortie de religion, est-ce une chance?

Tel est le titre du livre qu’ont écrit conjointement Michel GIGAND, Michel LEFORT, Jean-Marie PEYNARD, José REIS et Claude SIMON, à la fois ouvriers et prêtres dans le Calvados, qui se rassemblent chaque semaine en équipe depuis plus de vingt ans. La condition ouvrière, leurs engagements dans le Mouvement ouvrier (SUD Solidaires et CGT) et dans des organisations citoyennes les ont profondément changés au fil des années.

Le processus de sécularisation, qui touche les sociétés occidentales et spécialement la nôtre et qui est vu négativement dans certains milieux chrétiens, a interpellé ces prêtres ouvriers qui, eux, y voient une chance. Les réflexions du théologien Joseph Moingt et du philosophe Marcel Gauchet sur « le christianisme comme religion de la sortie de religion » les ont beaucoup marqués. Ils décrivent la religion de leur enfance (hélas encore parfois actuelle) comme une religion englobante détentrice du « salut » avec ses interdits et ses accommodements… La vie quotidienne avec des travailleuses et des travailleurs qui, très majoritairement, ne partagent pas la foi chrétienne les a bousculés. Les luttes syndicales pour plus de justice et pour changer une société devenue si inégalitaire ont remis en cause bien de leurs façons de voir et aussi de croire. Ils essaient de décrire ces changements importants ainsi que leurs évolutions dans la façon de lire la Bible, de l’appréhender, et d’en comprendre le message pour aujourd’hui. Ils expérimentent que la foi chrétienne dépasse la religion qui la porte ; les premiers chrétiens ont dû dépasser leurs religions, juive ou païenne, pour témoigner du message universel de Jésus, tel que l’a mis par écrit le « collectif Jésus » à la fin du premier siècle. Vivant dans un contexte de sortie de religion, leur conviction est que les chrétiens, à leur place et parmi d’autres, sont invités à être des acteurs de la réussite de l’humanité. Ils nous proposent de saisir cette chance.

Laissons-leur la parole :

Claude Simon 

 C’est la vie quotidienne  avec cette multitude de militants de tout poil embarqués dans un même combat syndical, humanitaire, pacifiste, antiraciste… qui m’a fait découvrir Celui en qui j’ai fait le pari de croire et dont j’essaie, vaille que vaille, de témoigner : un Dieu qui vient vers moi et que je peux rejoindre en le recevant, un Dieu en mouvement, un Dieu actuel dont le visage est Jésus-Christ, l’Homme qui m’aide à me dépoussiérer de mes certitudes, l’Homme qui rend libre et nous aide à devenir vivants. Un Dieu en mouvement, donc un Dieu pas fini, un Dieu présent mais en même temps futur, un Dieu actuel mais en même temps à-venir, un Dieu qui devient de plus en plus Dieu à mesure que l’humanité devient de plus en plus humaine. Et cela, ça dépend de nous car Dieu croit en l’homme et nous demande de prendre le relais de son Fils. Comme le dit Madeleine Delbrel : « L’Évangile n’est pas seulement l’histoire du Dieu vivant, c’est l’histoire du Dieu à vivre ! »

Michel Lefort 

À notre époque surtout, la religion catholique est fixée sur son identité, sur ses problèmes internes, et ne s’intéresse pas aux problèmes des hommes de notre temps. Réintégrer le latin dans la liturgie, en faire un problème médiatique, alors que des millions d’hommes souffrent des effets du capitalisme et les réduit, peu à peu, à des vies de sous-hommes, et que cela ne semble pas la concerner, montre le peu de cas qui est fait des Évangiles et de l’esprit qui les traverse. La religion catholique, dans ce cas, est réduite à des rites, à des pratiques cultuelles et perd son attraction évangélique…La religion ne redeviendra intéressante (digne d’intérêt) pour les hommes d’aujourd’hui que si l’Église catholique (pour nous) vit des Évangiles, et que cela se voie. On a notre responsabilité, à notre petite place, mais il faut s’attaquer à une montagne… Raison de plus pour essayer…

José Reis

En 1971, à mon arrivée en France, l’entrée au travail donne un grand coup d’arrêt au peu qui me reste d’ancrage de ma vie comme membre d’un ordre religieux. Le cultuel est mis de côté et donne place entièrement au combat pour la dignité de l’homme. La foi d’avant, la foi dans un Dieu qui peut tout et qui domine tout, est remplacée par une foi dans l’humain. Maintenant je crois au combat pour la dignité de l’homme en tous ses aspects, mais gardant la foi dans le Dieu révélé par Jésus Christ, le Dieu des petits et des pauvres, cela m’amène, occasionnellement à le célébrer par des actes cultuels. Je crois qu’un jour viendra où ce sera à l’homme d’aider Dieu et non à Dieu d’aider l’homme à sauver l’humanité.

Michel Gigand

Petit à petit la religion catholique « officielle » me devient de plus en plus insupportable. Progressivement et souvent insensiblement des détachements s’opèrent. Et cela va se faire parce que des pratiques chrétiennes autres au coeur de la vie profane vont prendre place. Cela me devient de plus en plus insupportable de participer à un culte coupé de la vie avec des sermons, des discours, ou bien qui plagient les lectures bibliques faites comme si c’étaient des textes d’aujourd’hui, ou bien qui déversent une morale dogmatique où l’on ne sent pas la tendresse du Dieu de Jésus envers tous les humains. Des vieux textes d’un autre temps sont lus sans donner le contexte de l’époque, comme si le Dieu de Jésus se moquait de l’histoire humaine. J’ai tellement été marqué par un passé de chrétienté que j’ai du mal à me laisser imbiber par ces convictions. J’ai du mal à entrer dans la conviction que le divin se trouve là au coeur du profane : j’ai encore trop souvent tendance à le chercher ailleurs. N’est-il pas depuis si longtemps dans les tabernacles, dans les églises bâtiments, dans des choses sacrées… C’est dur de se défaire d’un imaginaire social de chrétienté. Pour moi personnellement, à la fois je crois qu’aujourd’hui je suis capable de vivre de la foi chrétienne libératrice sans obligation de religion et, à la fois, je pense que cela peut aussi me convenir de vivre des actes religieux dans la mesure où ils sont célébrations, partages, reconnaissance, révélation de la présence de l’Esprit au coeur de l’humanité. Une religion de chrétienté hiérarchique, non démocratique, dogmatique, intransigeante : NON ! Une foi chrétienne porteuse du message libérateur de Jésus, ouverte et tolérante : OUI !

Jean Marie Peynard

Dans toutes ces années de travail dont vingt-cinq passées aux PTT, et maintenant à la retraite, j’ai pu partager avec les collègues de travail et les militants syndicaux beaucoup de revendications et de valeurs communes de solidarité et de luttes pour la défense des services publics et des droits des salariés. Ce faisant, s’est forgée de plus en plus la conviction de participer à une humanité en marche pour un avenir meilleur qui, je le crois, a quelque chose à voir avec le Royaume annoncé par Jésus.

Le livre est publié chez l’Harmattan, décembre 2010

Entre la routine et la magie, la messe

La réorganisation des horaires des messes, suite à la diminution du nombre de prêtres, a fait réagir plus d’un et espérons le a fait se poser des questions sur le sens de la messe. Il est vrai que deux écueils nous guettent. La messe, si nous n’y prenons garde peut devenir une routine ou un acte magique. La routine a pour conséquence de banaliser la démarche au point qu’on ne sait plus très bien pourquoi on va à la messe. Cela peut conduire les personnes conformistes à s’aliéner dans un ritualisme légaliste, source d’identification sécurisante et d’autres à abandonner une pratique dont ils ne voient plus l’intérêt.

A l’opposé, dans la ligne de l’idolâtrie dénoncée par les prophètes d’Israël, la magie se nourrit de la prétention de l’homme religieux à opérer son salut par des moyens dont il a la maîtrise. Ces moyens consistent de préférence en paroles et en conduites rituelles. A reconnaître aux rites correctement célébrés une efficacité quasi mécanique, on en vient à négliger dangereusement ce qui donne tout leur sens aux sacrements chrétiens, c’est à dire la démarche de foi par laquelle l’assemblée reçoit de Dieu, par le Christ et dans l’Esprit, le don du salut.

Le congrès eucharistique de Lourdes de 1981 définit en sept têtes de chapitres les divers moments de l’action eucharistique : l’Eglise se rassemble, proclame la parole de Dieu, rend grâce au Père, fait mémoire du Christ, fait appel à l’Esprit Saint, communie au corps du Christ et participe à la mission du Christ.

Cette dynamique existait déjà dès le début du christianisme. Cependant au Moyen Age, il y eut une inflation de messes et on pensait que plus le nombre de messes auxquelles on assistait était important et meilleure était notre vie de chrétien. Certains prêtres célébraient aussi des messes tout seuls, sans fidèles. Les lecteurs d’un certain âge se souviennent sans doute de prêtres qui célébraient une messe sur un autel latéral pendant que les fidèles étaient censés suivre la messe de l’autel principal. Comme gamin je m’amusais à voir lequel des prêtres allait le plus vite. Avec l’importance grandissante du rôle du prêtre au cours de l’histoire, d’acteurs les laïcs devinrent spectateurs. Qui ne se souvient de personnes récitant le chapelet durant la messe. Vatican II a partiellement rétabli l’équilibre, mais la majorité des fidèles gardent toujours une attitude passive, ce qui démobilise nombre de personnes et notamment les jeunes. Dans la mentalité catholique la messe a été tellement majorée que toute autre célébration est considérée comme mineure et souvent on pense que le fait d’assister à la messe est l’essentiel de la démarche chrétienne, oubliant ou négligeant la prière, la recherche spirituelle ou l’engagement dans la société et le service de nos frères.

Si nous ne voulons pas que la messe devienne routine ou magie, nous sommes amenés à nous poser des questions bien plus fondamentales que celles de savoir si on y va le samedi ou le dimanche ou si nous chantons en latin ou non.

Cet article s’inspire du livre de Charles Wackenheim portant le même titre

Le Saint-Sacrement du Corps et du Sang du Christ. Qui peut communier?

Peut-on exclure de la table de l’Eucharistie des personnes? Les divorcés-remariés? Les homosexuel(le)s? Les femmes qui ont subi un avortement? Les médecins qui les ont assistées? Les marginaux? Ceux et celles qui ne vivent pas selon les règles de l’Église? Personnellement, je suis convaincu que non! Et pourtant, dans sa 1ère lettre aux Corinthiens, saint Paul écrit : « Celui qui mangera le pain ou boira à la coupe du Seigneur indignement se rendra coupable envers le corps et le sang du Seigneur » (1 Co 11,27). Mais de quelle indignité parle saint Paul? Dans cette même lettre, il dénonce les divisions et les scissions entre les chrétiens qui se réunissent en assemblée pour prendre leur repas ensemble. Il leur dit : « Quand vous vous réunissez en commun, ce n’est pas le repas du Seigneur que vous prenez. Car, au moment de manger, chacun se hâte de prendre son propre repas, en sorte que, l’un a faim, tandis que l’autre est ivre » (1 Co 11,20-21). Il ajoute : « N’avez-vous donc pas de maisons pour manger et pour boire? Ou bien méprisez-vous l’Église de Dieu et voulez-vous faire un affront à ceux qui n’ont rien? » (1 Co 11,22).

Si je lis bien et si je comprends bien saint Paul, les seuls qui ne peuvent communier sont donc ceux qui refusent de partager, ceux qui ignorent les pauvres, ceux qui méprisent les autres, ceux qui condamnent et qui excluent les petits, les mal-aimés, les blessés de la vie; ceux-là sont indignes de communier et de célébrer l’Eucharistie. L’Eucharistie n’est donc pas une dévotion personnelle qui nourrit l’ego; l’Eucharistie est un acte communautaire qui nous oblige à reconnaître l’autre, les autres, tous les autres, avec leurs différences et leur histoire, comme des frères et des sœurs, et de nous mettre à leur service…Ce n’est pas pour rien que dans l’évangile de Jean, le soir du Jeudi-Saint, à la Cène, nous avons le lavement des pieds.

Alors, si nous avons le sens de la communauté diversifiée, si nous sommes capables de solidarité entre nous, surtout avec les plus faibles d’entre nous, si nous reconnaissons nos propres fragilités, si nous pratiquons la charité, l’accueil inconditionnel de l’autre, si nous faisons preuve de tolérance et de compassion envers les autres…nous sommes dignes de communier, de partager l’Eucharistie. Dans le cas contraire, il faudrait nous interroger.

En terminant, pour celles et ceux qui déplorent qu’il n’y ait plus de belles processions de la Fête-Dieu avec reposoir comme autrefois, je voudrais simplement vous rappeler ce que disait le prêtre André Beauchamp, en 2005 : « C’est beaucoup plus facile de porter en procession l’ostensoir et de rendre visible l’hostie consacrée, que de porter en soi le Christ ressuscité et de le rendre visible aux autres, par notre témoignage de foi et par notre engagement au service des autres ». Et pourtant, la Fête-Dieu, c’est la fête de toutes celles et de tous ceux qui portent le Christ au monde… Ça vaut bien des processions! Ça vaut plus que tous les ostensoirs et reposoirs du monde

Extrait d’un article du site Culture et foi :

http://www.culture-et-foi.com/dossiers/homelies/saint-sacrement_A.htm

Lettre à un jeune prêtre

Voici un extrait du livre de PIETRO DE PAOLI « Lettres à un jeune prêtre » Plon mars 2010, où par le biais de la fiction un évêque se référant au Concile Vatican II, écrit à un jeune prêtre d’à peine 30 ans ayant la mentalité d’une bonne partie des jeunes prêtres actuels.

Ce que je pointe, c’est la vision du prêtre comme un être sacré, un homme séparé. Il y a dans notre tradition, catholique (et c’est à dessein que je ne mets pas de majuscule au mot tradition, car ce n’est qu’un usage, qui prévaut dans un temps donné, qui a varié dans le temps et qui pourrait encore changer), une vision du prêtre, comme un homme mis à part par le Seigneur. Dans cette perspective, le prêtre endosse le caractère sacerdotal du peuple de Dieu, tel qu’il est révélé dans l’Ancien Testament. En effet, c’est le peuple tout entier qui est mis à part parmi les nations, choisi et élu. Cette vision rejoint aussi la façon de percevoir la vocation prophétique. Le prophète de l’Ancien Testament est l’objet d’un appel qui le met à part, pour une mission qui, c’est le moins qu’on puisse dire, n’est pas « la meilleure part ». Au point qu’il n’est pas rare que le prophète essaie d’échapper à Dieu. L’histoire de Jonas est, dans son mode épique et exagéré, exemplaire.

Rien de cela dans la façon dont Jésus choisit ses apôtres et ses disciples, rien de cela dans la façon dont sont choisis les anciens, presbytres et épiscopes, dans les écrits apostoliques. Tous sont choisis « au milieu de », comme « faisant partie de ».

Tu le sais bien, les premiers « prêtres » sont les chefs de communauté, des hommes sages qu’on désigne sous le vocable de presbytres ou d’épiscopes. Ils président le repas du Seigneur (les premières eucharisties), gouvernent les communautés, arbitrent les conflits, transmettent l’enseignement des apôtres. Il faudra des dizaines d’années, sans doute même un ou deux siècles, avant que le collège des collaborateurs de l’évêque soit ordinairement qualifié de collège de « prêtres ». Il faut dire que les premiers chrétiens ne tenaient à être confondus ni avec la religion civile romaine, qui avait ses prêtres sacrificateurs, fonctionnaires du « sacré », ni avec les adorateurs des divers cultes à mystères souvent originaires d’Orient et qui fleurissaient un peu partout. Les chrétiens manifestaient d’ailleurs si peu de sens religieux qu’aux yeux des Romains, qui avaient pourtant une très grande tolérance religieuse, ils étaient considérés comme des athées. C’est d’ailleurs en cela qu’ils constituaient une menace : comment faire confiance à des gens « sans foi ni loi »?

Et tu sais bien que, alors, les prêtres, comme les évêques, sont choisis par les communautés. Ils ne sont pas mis à part, mais choisis au milieu de tous et pour tous. Il n’est qu’à prendre l’exemple d’Ambroise de Milan, choisi pour sa sagesse, et qui n’était pas même baptisé. En un jour, il faut le baptiser et l’ordonner évêque… contre son gré, par l’action du peuple qui crie sans se lasser : « Ambroise, évêque ! » On était déjà au ive siècle, plus de trois cents ans après la résurrection du Christ, après Constantin. Le christianisme avait pignon sur rue. On ne peut guère prétendre qu’il s’agissait des « premiers temps » de l’Église…

Je te passe les innombrables siècles où les prêtres, dans leur quasi-majorité, ne répondent pas à une vocation, mais choisissent un métier, un « état », poussés par le curé du village ou parce que leur rang dans la famille les y contraint. Ça ne faisait pas forcément de mauvais prêtres, pas plus que les mariages de raison ne faisaient nécessairement de mauvaises unions. Certains époux tombaient amoureux l’un de l’autre, comme certains prêtres découvraient une véritable vocation.

Il a fallu attendre le XVIIIe siècle et l’exaltation des sentiments pour que l’on commence à se marier par amour et à entrer au séminaire par vocation. Et c’est au cours du XXe siècle que la prédominance du sentiment (de ce qui est ressenti) a prévalu sur tout autre motif — du moins en Occident, sachant que le modèle occidental a tendance à se répandre.

Il n’y a pas, au cours des siècles, une vision constante et unifiée de ce qu’est « le prêtre ».

De surcroît, pour nous, toi et moi, catholiques romains d’Occident, il y a depuis environ mille ans l’obligation du célibat. Il est certain que cette obligation, qui a eu beaucoup de mal à s’imposer, a largement contribué au statut « sacré » du prêtre. Puisque nous ne prenons pas de femmes (et encore moins d’hommes…), nous devenons des « intouchables ». Cette obligation, qui a pour origine la lutte contre le nicolaïsme (l’appropriation des charges et des biens d’églises par les prêtres pour leur fils), est avant tout une réponse pragmatique à un problème réel qui à l’époque est porteur de scandale. Ensuite, on a justifié la chose en développant des spiritualités de don total de soi, de préférence absolue pour le Christ, et aussi de pureté rituelle. Le résultat, c’est que cette discipline fait de nous des sortes d’« étrangers ». Oui, j’ose le mot, étrangers aux préoccupations ordinaires et légitimes des humains. Les soucis que nous n’avons pas, conserver l’amour et l’estime de notre épouse, élever dignement nos enfants, nous soucier de leur éducation, craindre pour leur santé, gagner notre vie afin de leur assurer un toit sur la tête, un repas dans leur assiette, un financement pour leurs études et de quoi payer leur abonnement de portable, nous mettent à part, que nous le voulions ou pas.

La vraie question, c’est de savoir comment nous faisons pour porter notre célibat comme une fécondité et non comme une stérilité. Comment le fait d’accepter d’entrer volontairement dans ce manque radical nous humanise-t-il ? Il faut pour cela prendre comme une grâce la fragilité qu’induit notre célibat et la solitude qui lui est liée. C’est une vaste question. Nous avons toute une vie pour y répondre. Et à chaque âge de notre vie, nous répondons différemment. Dans la jeunesse de notre engagement, nous ressentons le vide de nos bras qui ne se resserrent pas sur la présence d’un autre être humain. Puis, nous devenons pauvres des enfants que nous n’aurons pas. L’âge venant, nous ne cultiverons pas l’art d’être grand-père et, pour finir, nous redouterons les abandons de la vieillesse. Au fur et à mesure, il nous faut réactualiser notre choix de vie et découvrir comment ces fragilités nous rendent intimement solidaires de la condition humaine et nous ancrent dans la réalité.

Le vrai risque, c’est de penser que parce que nous sommes « libérés » des pesanteurs ordinaires, nous sommes déjà « du ciel ». Mais nous savons bien que c’est faux. Être ailleurs, loin des humains, c’est toujours du même coup être loin de Dieu.

Je suis toujours rempli de tristesse quand les gens, couples de fiancés, jeunes parents, futurs confirmés, honnêtes grands-mères, me disent, comme par automatisme :

— Mais vous, Père, ce n’est pas pareil.

Comme si j’appartenais à une autre race qu’eux ! Cette phrase me déchire le coeur. Le danger, c’est qu’au lieu d’être des médiateurs, des passeurs, de permettre à ces gens de voir Dieu qui vient vers eux, Dieu qui les attend, notre étrangeté devienne un obstacle et leur fasse penser que Dieu est pour les gens comme nous, les spécialistes, les « mis à part », mais qu’eux ne le méritent pas.

Alors, non, moi je ne veux être ni une « vache sacrée », ni un intouchable ! Je ne suis pas un homme tabou. Je veux être un homme au milieu des hommes, comme Jésus le fut.

Je t’entends bien cependant quand tu dis que tu veux être « un signe de la présence de Dieu, un signe de l’exigence de Dieu », et que tu ajoutes : « au risque d’être un signe de contradiction ». À cause de cela, tu n’hésites pas à être un signe visible, m’expliques-tu, en particulier dans ton vêtement, en portant le col romain et volontiers la soutane. Et tu me fais une sorte de remontrance en me disant que si, tout jeune prêtre, j’avais porté le col romain, mon paroissien qui voulait se confesser aurait su que j’étais un prêtre, et, ajoutes-tu, moi aussi.

Plus généralement, tu me parles d’être un signe. Est-ce que la visibilité des cols noirs et des soutanes dans la rue est un signe de la présence de Dieu? J’en doute. Un signe de contradiction, oui. Mais est-ce que tu crois qu’un prêtre en soutane suscite plus de sympathie qu’une femme en burka ? Les gens haussent les épaules : encore un fou de Dieu! Dans le meilleur des cas, ils trouvent ça folklorique ! Tu es un signe, oui, mais un signe d’attachement communautaire ou un signe du passé, pas un signe de la présence de Dieu, pas un signe de communion.

Il n’y a, pour nous chrétiens, qu’un seul signe de contradiction, c’est la croix du Christ. Paul l’a dit le tout premier en des termes puissants qui n’ont pas pris une ride : « Folie pour les juifs, scandale pour les païens. »

C’est la croix du Christ, le signe de contradiction, le signe du fol amour de notre Dieu, pas toi, généreux jeune homme drapé dans ta robe noire. Et, pour le reste, je te rappelle que la soutane, telle que nous la connaissons, n’a guère été portée plus de deux siècles, et encore, et que son premier usage est d’être un jupon qui cache les jambes quand on porte par-dessus une aube pleine de dentelles et de festons ajourés…

Pour le col romain, j’ai envie de dire : qu’importe, c’est une question de mode, rien d’autre. Quant à moi, je trouve ridicule de porter ce machin raide dans la vie courante. C’est un des bonheurs de la modernité de nous avoir libérés de l’obligation de porter constamment un vêtement conforme à notre état. Pas un de mes amis ne porte de cravate pour aller marcher en forêt, faire les courses ou accompagner ses enfants au cours de danse, pas plus que les filles ne portent de tailleur si elles ne sont pas dans une obligation de représentation.

Ces considérations vestimentaires posées, reste la question importante, celle de la visibilité. C’est l’une des grandes questions du catholicisme aujourd’hui dans le monde dit « sécularisé ». Question débattue ordinairement sous la forme : « Comment redonner de la visibilité… » Or, c’est une mauvaise question.

Je vais être provocateur, de la visibilité, nous en avons : il y a des églises vides et fermées partout. Les gens peuvent donc très bien voir ce qu’il y a à voir : l’effacement du catholicisme dans sa forme paroissiale historique. Qu’est-ce qu’ils voient d’autre? Le pape de Rome ! Le précédent était un géant médiatique drainant des foules immenses. L’actuel est un petit homme crispé sous le poids de la charge, soulevant la tendre affection de quelques généreux jeunes gens et jeunes filles, prêts à en découdre avec quiconque « toucherait à leur pape », petite cohorte de fidèles dont tu es sans doute.

Mais les gens ordinaires, ceux qui regardent la télé et font leurs courses au supermarché, ils voient mais n’entendent pas, ne comprennent pas. Notre problème, ce n’est pas la visibilité, c’est la lisibilité. Être visible, c’est facile, il suffit de douze mètres de moire rouge en capa magna, et, semble-t-il, certains prélats romains s’y adonnent avec grande jubilation. Mais est-ce que ça fait résonner l’Évangile?

Notre visibilité n’a aucune importance, nous ne sommes pas une multinationale qui mène une politique d’image. Nous n’avons pas à faire de communication sur nous-mêmes, nous avons à communiquer Dieu. Et le pire serait que nous fassions écran. Que je sache, le Christ, comme tous les hommes de son temps, portait une tunique et un manteau. Il mangeait et buvait comme tout le monde et avec tout le monde et rien ne le distinguait parmi les hommes que sa parole et le regard qu’il posait sur ceux qu’il croisait.

La semaine de prière pour l’unité des chrétiens

Le thème de cette année 2011 est la phrase biblique des Actes des Apôtres

 

« Unis dans l’enseignement des apôtres, la communion fraternelle, la fraction du pain et la prière » (2, 42)

 

C’est de Jérusalem, l’Église-mère, que l’appel à l’unité est parvenu cette année aux Églises du monde entier. C’est un défi lancé à toutes les communautés ecclésiales ! L’appel à l’unité va au-delà des mots et nous oriente vraiment vers un avenir qui nous fasse anticiper la Jérusalem céleste et contribuer à sa construction. Les chrétiens à Jérusalem nous ont appelé à faire de cette semaine de prière l’occasion de renouveler notre engagement à travailler pour un véritable œcuménisme, enraciné dans l’expérience de l’Église primitive. Ils nous ont pressés également de prier avec eux et pour eux dans leur aspiration à la liberté, à la dignité, à la justice et à la paix de tous les peuples sur cette terre.

A Sarreguemines, comme l’année dernière, 7 moments de prière le matin avec entre trente et quarante participants, un échange de chaire et une soirée où était proposée de mettre en œuvre cette communion fraternelle par l’apport de nourriture. 3 des éléments du verset 42 qui décrivaient les premières communautés chrétiennes sont mises en œuvre dans les communautés de paroisse de Sarreguemines. Mais la frilosité de nos dirigeants ecclésiastiques empêche toujours encore la fraction commune du pain qui est pourtant le signe par lequel les disciples d’Emmaüs avaient reconnu le ressuscité.

 

Georges Heichelbech