Semaine mondiale de la mission

Nous sommes appelés, cette semaine, à réfléchir à la mission, pour la prendre au sérieux. Le christianisme est missionnaire ou il n’est pas, mais qu’est-ce à dire ? À qui s’adresse-t-on et que veut-on annoncer ? Les appels à la mission que l’Église proclame depuis quelques années nous semblent souvent vides de sens. Nous savons l’impossibilité de se faire entendre si on parle de Jésus, et c’est normal, ce genre de proclamation court-circuite l’incarnation de nos vies dans le temps présent. Dire qu’on annonce Jésus-Christ revient à formuler un vœu pieux… et inefficace. On annonce l’évangile, mais là encore, qu’est-ce à dire ? Peut-être pourrions-nous nous contenter d’annoncer une, la, bonne nouvelle. Et pour cela, savoir laquelle.

Dans un monde de la technique, dominé par la « raison instrumentale » évoquée par Max Weber, le christianisme est porteur de sens. Nous avons à partager avec tous les hommes notre recherche de sens. Nous ne vivons pas sur une montagne sainte, notre devoir d’hommes est de coopérer et marcher avec tous les hommes. Ils ont besoin de notre vérité, nous avons besoin de la leur qui nous enrichit aussi. Nous ne pouvons pas asséner notre vision de la vie mais marcher avec tous en quête d’un sens qui l’emporte sur le non-sens. Pour nous chrétiens, il est donné par la grâce plus forte que le péché, et le surplus de sens que nous annonçons s’appelle l’espérance. C’est là le cœur de notre démarche. On ne peut se contenter d’un discours théorique, c’est dans la construction du monde réel que cette quête s’incarne, c’est en construisant le monde avec tous les autres que nous annoncerons la bonne nouvelle.

Notre premier devoir missionnaire est de rencontrer les autres non pour les enseigner, mais pour marcher ensemble à la recherche du sens, de la vérité de nos vies.

Il faut d’abord être audible. Cela exige de notre part une réponse à ce qui rend l’humanité sourde à l’évangile. Dans les temps modernes, ont été formulées des critiques du christianisme extrêmement fondées et qui ont obtenu un grand succès. Critique philosophique dès le XIXe siècle, critique psychanalytique, critique radicale de Nietzsche à l’aube du XXe lorsqu’il nous reproche de bâtir un arrière-monde pour fuir celui-ci, critique sociale du marxisme (ou d’autres) qui, comme le christianisme, annonce un sens avec l’avènement de « l’homme nouveau ». Ces critiques doivent épurer notre propre foi et sont donc un bienfait pour nous, nous devons accepter de nous y confronter. En plus de l’enrichissement qu’elles doivent nous procurer, leur prise en compte rend crédible notre parole.

L’évangile exige une certaine éthique que nous pouvons, devons, partager avec les autres. Nous pouvons annoncer le sens de notre vie et appeler à une vie morale autre que celle du consumérisme, ou de l’écrasement des petits pour servir nos intérêts. Les chrétiens doivent posséder un certain radicalisme d’exigence absolue, faire pression pour que cette exigence soit prise en compte. Mais cela ne suffit pas, tout n’est pas réalisable et nous devons nous salir les mains en prenant en compte la réalité du monde pour exercer une morale de responsabilité. On attend de nous, au-delà des condamnations de toutes les dérives humaines, la prise en compte de la vie concrète des hommes et la construction d’un monde meilleur dans la réalité. Sur ce terrain, personne n’a la vérité, tous les hommes sont appelés à cheminer et chercher ensemble. Il est relativement facile, même si cela nous occasionne en retour des souffrances, de condamner ce monde impur en nous réfugiant dans celui des purs, dans notre secte. Cela ne proclame pas la bonne nouvelle, mais la mauvaise nouvelle d’une condamnation qui ne sert à rien. Le chrétien est dans la situation inconfortable de suivre le « soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait » et de l’appliquer dans la réalité. Il vit ainsi une contradiction permanente qui ne se résout qu’en espérance. Pas seulement parce qu’il se sait pécheur, mais parce que la vérité de nos vies exige de prendre en compte la responsabilité du vécu quotidien.

Les actes et la parole sont essentiels. Les actes parce que tout passe par eux, la parole parce qu’à travers elle nous pouvons entrer en relation et construire avec tous un chemin de vérité.

Après seulement, peut-être, est-il possible de parler du Christ et de sa grâce qui sont à la source de notre chemin. Après, seulement, pourrons-nous peut-être obéir au « baptisez-les… ». La mission est d’abord la proclamation de la bonne nouvelle : nous ne sommes pas perdus sur cette terre, le sens l’emporte sur le non-sens, nous sommes appelés à construire un monde meilleur qui pour nous est déjà le Royaume. La mission consiste à inviter tous les hommes à progresser dans leur humanité et dire que cela n’est pas vain. Elle consiste à chercher en commun la vérité de nos vies sur le chemin qui mène au Royaume.

Marc Durand, 17 octobre 2018

Source Blog Garrigues et Sentiers